Extraits de l’émission :
Aurélie Godefroy : Si nous voulons être responsable, engagé dans le développement et la transformation de notre propre vie, nous avons souvent du mal à délaisser un certain nombre d’habitudes qui nous limitent, nous bloquent et peuvent entraîner par là même une certaine souffrance, car elles nous empêchent bien souvent de lâcher prise. Quelles sont ce que l’on appelle les bonnes et les mauvaises habitudes ? Comment fonctionnent-elles ? Est-ce que la méditation peut nous aider à les modifier ? Enfin, comment, concrètement, arriver à réaliser ce lâcher prise ? Nous allons aborder ces différentes questions avec Martine Batchelor.
Martine Batchelor, bonjour. Vous avez reçu l’ordination de moniale en Corée, en 1975,du maître zen Kusan Sunim dont vous êtes ensuite devenue la traductrice et l’interprète. Vous êtes restée dix ans en Corée et, de retour en Europe, vous avez intégré la communauté bouddhiste Sharpham en Angleterre. Depuis, vous conduisez un certain nombre de retraite zen et vipassana dans le monde entier et vous vivez maintenant en France. Merci beaucoup d’être avec nous aujourd’hui. Pour commencer cette émission, comment pourrait-on définir ce terme de lâcher prise ?
Martine Batchelor : Je pense qu’il faut voir le lâcher prise par rapport à son opposition, qui est un certain accrochage, un certain agrippement. Et donc le lâcher prise serait le relâchement de cet agrippement. Laissez-moi vous donner un exemple qui sera plus significatif : Disons que ceci est quelque chose de très précieux, (un stylo bille). Il m’appartient, je le tiens, je le maintiens, souvent je ne veux pas trop le partager et donc je fais cela et si je fais cela ( = s’agripper à lui), deux choses arrivent : j’ai une crampe dans le bras. Dons il est important de voir que, dès qu’on s’agrippe, cela crée de la tension dans notre vie. Mais il y a une deuxième chose qui est beaucoup plus importante et beaucoup plus malheureuse dans un sens, c’est le fait que, parce que je m’accroche à lui, je ne peux pas utiliser ma main. Et donc je suis réduit à ce à quoi je m’accroche, je suis limitée par mon accrochage. Et je dirais que la méditation nous aide, non pas à nous débarrasser de la main, ou de l’objet, mais nous aide à ouvrir la main. Le lâcher prise, c’est cette ouverture, ce relâchement, ce désagrippement.
A.G. : Ce qui suppose également un certain effet de détente et peut-être aussi un peu l’abandon de la saisie egotique, du Moi, du Je. En quoi est ce important de réaliser que le « Je » ne doit pas prendre toute la place, même si c’est un peu ce qui nous conditionne depuis l’enfance ?
Martine Batchelor : En fait je regarderais cette histoire du « Moi », du « Je » d’une façon différente. Il faut voir que, souvent, lorsqu’on s’accroche, on s’identifie. Il y a deux choses : D’une part l’accrochage, le contact avec quelque chose et d’autre part, le fait de dire : c’est mon problème, c’est mon mal de tête, ça m’arrive à moi. Dès qu’on s’accroche, on s’identifie, on se solidifie, on se limite à ce à quoi on s’accroche et on l’amplifie. On a alors l’impression que le Moi est pris par toute cette chose à quoi on s’agrippe.
Alors que le Moi, si on le regarde, est beaucoup plus multiple. Le Moi, ce n’est pas qu’une pensée, qu’une émotion, qu’une sensation, qu’un problème. Par exemple, récemment, j’écrivais un livre, je fais des corrections. Je fais une erreur d’opération sur mon ordinateur et mes corrections de quinze jours disparaissent pour jamais. Ma première pensée, c’est : « Je suis stupide ». Et généralement, on se dit : « Je suis stupide. Je suis toujours stupide. Je vais toujours être stupide. Je ne vais pas pouvoir écrire mon livre. » Au lieu de cela, je me suis dit : « J’ai fait une erreur. Il faut que j’apprenne de cette erreur et que je ne la recommence pas. » Que j’aie fait cette erreur ne veut pas dire que je suis stupide tout le temps. Il faut voir que lorsqu’on s’accroche, généralement, on exagère et on prolifère.
A.G. : Vous avez mentionné tout à l’heure la méditation. Pour vous, qui conduisez des retraites en Grande-Bretagne, en France, qu’est ce que c’est que la méditation et en quoi est-elle liée au lâcher prise ?
Martine Batchelor : Ce qui est important, c’est de voir que, quelle que soit la sorte de méditation, généralement on cultive ensemble deux qualités : la qualité de concentration et la qualité de vision pénétrante. Si on cultive la concentration sur un objet dans l’expérience, cela nous aide à être plus calme, et à avoir plus d’espace. Si on cultive la vision pénétrante, c’est-à-dire qu’on va à l’intérieur de l’expérience, on fait l’expérience du changement et de la conditionnalité et cela nous aide à être plus clair et plus vivace. A.G. : Qu’est ce que l’expérience de la conditionnalité ?
Martine Batchelor : L’expérience de la conditionnalité, c’est de voir que les choses dépendent des conditions, que l’on n’existe pas indépendamment, en dehors de ces conditions. C’est de voir que je suis formée par les conditions et que j’influe sur les conditions. On fait partie d’une certaine conditionnalité. Et donc, quand on cultive la concentration et la vision pénétrante, cela nous aide à développer le calme et la clarté qui nous aident à développer la conscience créative, que l’on peut ensuite utiliser dans la vie quotidienne. Et c’est cette conscience créative, qui va nous aider, dans la vie quotidienne, au lâcher prise.
A.G. : Et l’on prend aussi de la distance par rapport à l’image que l’on a. On a une vision un peu plus vaste des choses. Mais souvent, il existe des obstacles quand même, qui nous empêchent de faire. Quels sont ces obstacles ?
Martine Batchelor : Je dirais qu’on a une tendance à être fixé par ses habitudes. Il y a tout un conditionnement qui est biologique, qui est de la famille, qui est de la société, de nos rencontres, de nos apprentissages, et au bout du temps, on s’enferme un peu dans ces conditionnements. Alors on a un certain type de pensée, un certain type d’émotions, de sensations, une façon d’être en relation avec les autres. Et c’est souvent très automatisé, très routinier. Et la méditation, cette conscience créative nous aide à voir, non pas à condamner, mais à accepter et à transformer les habitudes. En fait, à les ramener à leur fonction de base, à une certaine potentialité.
A.G. : Il existe différents types d’habitudes et elles s’expriment sur différents niveaux, je crois, l’intensité n’est pas la même. Vous pouvez nous en parler un peu ?
Martine Batchelor : C’est par rapport à la méditation. Si on fait de la méditation, on devient plus attentif à comment on pense, comment on ressent, quelles sont nos sensations. Et alors moi j’ai trouvé qu’au bout d’un moment, on voit qu’il y a trois niveaux d’habitudes. Je dirais qu’il y a le niveau intense, le niveau habituel et le niveau léger. Il est très important de voir que pour chaque niveau, on va faire quelque chose de différent avec l’aide de la méditation. Pour le premier niveau, il est important de voir que quelque chose arrive, il faut un choc. Je téléphone un jour à une amie et je lui demande comment elle va. Et elle me répond : « C’est terrible, tout est toujours terrible, ma vie est toujours terrible. » Je lui demande ce qui est arrivé et elle me dit que rien n’est arrivé, mais que c’est toujours terrible. Au bout de dix minutes, finalement, elle me dit que oui, hier quelque chose est arrivé et que cela l’a choqué, heurté. Et alors là, on pouvait faire quelque chose, on pouvait s’engager créativement, avec ces conditions. Car si l’on dit que c’est » toujours comme ça », alors on ne peut rien faire.
A.G. : Donc il faut vraiment réaliser que quelque chose s’est produit, c’est très important ?
Martine Batchelor : Voilà, donc voir que quelque chose s’est produit. Deuxièmement, voir que l’on est dans l’obsession et utiliser la méditation pour ne pas être coincé dans l’obsession, mais revenir à l’instant où on voit que l’expérience est plus multiple et plus complexe que juste ce qui est arrivé hier. On a aussi des possibilités et des aides. A.G. : Et le deuxième niveau ?
Martine Batchelor : Le deuxième niveau, ce sont les habitudes. Cela, généralement, les autres les connaissent très bien. Ils savent que l’on va être un peu irrité ou un peu triste, s’il y a ceci ou cela. Par exemple, j’avais tendance à être un peu en colère - Cela s’est bien amélioré grâce à la méditation - mais je remarquais que j’avais tendance à chercher des noises aux gens et je me suis demandée ce qui se passait. Et j’ai réalisé en fait que j’étais fatiguée, donc j’étais irritée. Et comme j’étais irritée, cela était dû à quelqu’un d’autre, donc il fallait que je trouve le problème avec la personne. Dès que je me suis rendue compte que la fatigue était en cause, je suis allée me reposer et ensuite j’avais de meilleures relations. Donc il faut connaître son type de réaction automatique. A.G. : Et le dernier type d’habitude qui est le plus léger ?
Martine Batchelor : On peut par exemple faire des plans, si on a une tendance à faire des plans. Par exemple, vous êtes assis dans le métro ou autre et vous commencez à planifier vos vacances, votre retraite. Mais quand on planifie, on ne le fait pas juste une fois, on le fait cinq fois, dix fois, vingt fois. Et c’est toujours la même chose, c’est extrêmement répétitif et on ne va nulle part, et cela peut devenir stressant. C’est pourquoi je dirais que quand vous voyez « planifier », ne le faites que cinq fois, et après, prenez un autre plan, cinq fois, et au bout d’un moment, vous avez un engagement plus créatif avec vos planifications.
A.G. : Mais quelle pratique justement pour arriver à lâcher prise par rapport à ces habitudes ?
Martine Batchelor : Ce que je conseille, c’est ce que j’appelle les outils de conscience :
- C’est par exemple d’être concentré sur la respiration, et cela nous aide à être plus calme. A.G. : C’est l’attention au souffle qui entraîne un certain degré de vigilance ?
Martine Batchelor : C’est cela.
- Ou bien on peut prendre conscience du corps, ce qui nous ancre plus dans le corps. On peut être plus présent d’une façon multiple plutôt que d’être coincé dans nos pensées.
- On peut aussi faire attention aux sons ou
- faire attention aux sentiments.
- On peut aussi utiliser une question comme « Qu’est ce que c’est ? » Alors on commence à voir les choses d’une façon plus flexible et plus créative.
A.G. : Il est important de dire que ces exercices doivent se prolonger vraiment dans la vie quotidienne. Il ne doit pas y avoir de coupure entre la méditation et la vie quotidienne ?
Martine Batchelor : Oui, je dirais qu’en fait, dans la méditation, généralement, il ne se passe pas grand chose. Donc c’est plutôt la culture de la concentration et la vision pénétrante, et c’est dans la vie quotidienne qu’on utilise la conscience créative. Et en plus, on voit ce lâcher prise. Et c’est souvent ce qui arrive quand les gens font des retraites de méditation - l’effet de la retraite généralement dure trois mois - ils voient qu’avant, ils étaient fixes, ils étaient coincés. Ils font une retraite de méditation pendant une semaine, et dans leur vie quotidienne, dans leur travail, ils sont différents. Parce que je regarde comment je travaille, qu’est ce qui me bloque dans mon travail, comment je me relie aux gens, comment je suis avec moi-même ? Un exemple : l’écoute. Comment écoutons nous généralement ? On écoute de trois façons : La première façon, on attend que l’autre personne s’arrête pour dire quelque chose de beaucoup plus intéressant. La deuxième façon, on écoute, le corps écoute, mais on n’est pas là. Et quand la personne nous demande ce qu’on en pense, on n’a aucune idée de ce qu’elle a dit. Ou bien on écoute et on est trop pris, on est trop agrippé à ce qu’elle dit. Moi je dirais qu’on peut faire « l’écoute méditative » où l’on écoute la personne totalement. Et quand le silence arrive, vous direz généralement quelque chose de plus sage et de plus compassionnel que ce que vous préparerez.
Remerciements à Madame de Mareuil pour sa gracieuse et fidèle collaboration à la rédaction de la transcription de l’émission.
Livres présentés lors de cette émission :
Rencontre avec des femmes remarquables

Editions : Editions Sully
ISBN : 978 2 35432 017 1
Ce livre nous fait découvrir l’expérience spirituelle actuelle de plusieurs femmes, asiatiques ou occidentales, issues de diverses traditions bouddhiques. Généreux, profond, libre, joyeux, ce que ces femmes nous disent est une inspiration, non seulement pour les bouddhistes mais pour tous ceux ou celles qui cherchent à intégrer la spiritualité dans leur vie quotidienne.
Le Zen

Editions : First Editions
ISBN : 2 87691 776 9
Le Zen trouve un large écho dans la culture populaire occidentale. Il évoque la paix intérieure et le bien-être, un certain art de vivre naturel et harmonieux… Pourtant, combien de personnes savent de quoi il s’agit en vérité ? Ce guide fournit des informations précises sur l’histoire, la philosophie et les traditions de cette école du bouddhisme, ainsi qu’une introduction pratique à la méditation. Il montre comment la méditation permet la compréhension de soi et des autres et rend possible une vie plus pleine.
L’Art de méditer et d’agir

Editions : Le Relié Poche Editions
ISBN : 2 914 916 49 3
Ce livre regroupe les conférences données lors de deux colloques historiques sur le thème de la méditation et de l’action au monastère de la Sainte Baume et à l’abbaye de Sénanque.
Comment paix et équilibre intérieur peuvent-ils coexister avec les impératifs d’une vie active ?
Un Instant, une pensée
Editions : Le Courrier du livre Editions
ISBN : 978 2 7029 0631 6
Shakti Gawain nous offre 365 pensées et réflexions pour nous guider dans notre démarche de chaque jour. Quelques instants suffisent pour s’en imprégner, au réveil par exemple, et l’on peut y revenir au cours de la journée… un vrai petit bonheur.