Émission diffusée le 24 février 2008

Extraits de l’émission :

Aurélie Godefroy : Le don est le fondement même, la pierre angulaire du Dharma. Il fait partie des six paramitas, ces six vertus à développer pour aller vers l’Eveil. La générosité n’est pas toujours facile à mettre en pratique et on peut se demander si elle peut s’exprimer sous une ou plusieurs formes ? A quoi nous donne-t-elle accès ? Et comment pratiquer cette vertu dans notre quotidien ? Nous allons aborder ces différentes questions avec notre invité, Mogchok Rimpoché.

Mogchok Rimpoché, bonjour. Vous êtes un Maître tibétain, détenteur de la lignée Gelougpa.. Vous avez fait vos études à l’université bouddhique de Daramsala, notamment avec Sa Sainteté le Dalaï Lama. Vous avez enseigné à Taiwan, Hong Kong et vous vous êtes installé en France en 1999, à Marseille plus précisément, où vous dispensez aujourd’hui plusieurs enseignements. Vous participez également à une formation, à l’hôpital de la Timone, à Marseille, pour la formation d’accompagnement aux mourants. Je vous remercie infiniment d’être avec nous aujourd’hui.

Pour commencer cette émission consacrée à la générosité, est ce qu’on pourrait tenter de donner une définition globale de cette vertu et voir, peut-être dans un premier temps, si elle se présente sous un aspect ou bien sous différentes formes ?

Mogchok Rimpoché : De manière générale, ce qu’on appelle la générosité, c’est une disposition d’esprit par laquelle on est prêt à donner, sans aucun attachement envers ses possessions et qui vise à agir pour le bien des autres.

A.G. : Quelles peuvent être les différentes formes de générosité ? Est-ce que vous pouvez nous expliquer à quoi elles correspondent et, peut-être, nous donner quelques exemples ?

M.R. : De manière générale, on distingue trois aspects de la générosité. Il y a tout d’abord la générosité qui consiste à donner des biens matériels, également la générosité du don du Dharma et la générosité du don de protection.

A.G. : Comment se traduisent-elles ? Est-ce que vous pouvez nous donner quelques exemples ?

M.R. : Le premier de ces trois aspects de la générosité est la générosité des biens matériels. Elle consiste à donner diverses sortes d’objets, dont les autres peuvent avoir besoin, qu’il s’agisse de nourriture, de boisson ou de vêtements et, d’une manière générale, à donner ce dont les autres manquent. Le deuxième aspect est la générosité de la protection, qui consiste essentiellement à protéger la vie, à protéger les autres êtres vivants des dangers. Le troisième aspect de la générosité est la générosité du Dharma, qui consiste à donner l’enseignement, ne serait ce que parfois quelques mots de l’enseignement, à ceux qui aspirent à le recevoir.

A.G. : Prenons par exemple la deuxième sorte de générosité. Vous m’avez expliqué, en préparant cette émission, qu’on pouvait, par exemple libérer des animaux, aller les chercher sur un marché. Vous pouvez nous en parler un peu, Rimpoché ?

M.R. : Cela peut consister par exemple à protéger la vie, lorsque quelqu’un est menacé, donc à le mettre à l’abri du danger, dans le cas d’êtres humains. Mais, également, cela peut être pratiqué fréquemment à l’égard des animaux. Lorsqu’ils sont en danger, cette générosité va consister à les mettre à l’abri du danger. A sauver par exemple de petits insectes, qui risquent d’être écrasés. Ou bien même, lorsque nous allons dans des restaurants, que nous voyons des poissons qui sont dans un aquarium ou des crustacés qui sont prêts à être cuits ou grillés, à acheter par exemple ces poissons pour les replonger ensuite dans l’eau et leur éviter ainsi cette mort éminente.

A.G. : On parle souvent de générosité dans un sens assez global, on parle également de la perfection de la générosité. Est-ce que vous pouvez nous expliquer quelles sont les différences entre ces deux notions ?

M.R. : Il y a effectivement une différence entre la générosité que l’on pratique habituellement et ce que l’on appelle la paramita ou la perfection de la générosité. Pour qu’il y ait effectivement pratique de la perfection de la générosité, il faut que celui qui pratique le don soit imprégné de l’esprit d’Eveil, que, effectivement, cela soit accompagné de la perception de la vacuité du donateur, du don et du destinataire du don. Et également, il faut que cette pratique soit accompagnée, conclue par la dédicace de cet acte généreux, dédicace visant l’obtention de l’état de Bouddha. Ces trois conditions sont donc nécessaires pour qu’il y ait effectivement perfection de la générosité.

A.G. : On peut aussi dire que la générosité, ce n’est pas uniquement le don de ses possessions, mais c’est avant tout une attitude de cœur, d’esprit et de tout l’être finalement ?

M.R. : Effectivement la valeur de la pratique de la générosité dépend essentiellement de la motivation qui l’induit. On peut n’avoir que très peu de choses à donner. Donner, par exemple, ne serait-ce qu’un petit morceau de pain. Mais si ce don est effectué avec une très vaste disposition d’esprit, si on est animé par le souhait du bonheur de tous les êtres, alors ce don, si limité soit-il, devient en fait une pratique extrêmement vaste dont les bénéfices en sont extrêmement étendus. A l’inverse, on peut par exemple posséder beaucoup de choses et en faire le don. Mais si notre motivation n’est pas bonne, et qu’en faisant ce don, nous recherchons par exemple une bonne réputation, la notoriété, les honneurs etc.., alors, même si on fait don de biens très vastes, en réalité cette pratique n’aura que des bénéfices très limités.

A.G. : On peut se demander, dans ce contexte de générosité, à qui il faut donner également ? Est-ce qu’il existe une hiérarchie dans le don ?

M.R. : Il y a effectivement des destinataires de nos dons qui sont particuliers et envers lesquels la pratique de la générosité revêt une grande importance. C’est le cas notamment des destinataires qui se trouvent dans une condition vraiment misérable, l’extrême pauvreté, ceux qui n’ont rien à boire, rien à manger. Et à ce moment-là, notre pratique de la générosité sera particulièrement bénéfique.

Il y a également des destinataires qui sont très particuliers de par leurs qualités supérieures, tel que faire des offrandes à des Maîtres ou au Bouddha ou faire des offrandes à des personnes de très grande qualité que nous vénérons, que nous respectons ou faire des dons, par exemple à nos parents, à des personnes à qui nous devons une grande reconnaissance. Dans ces diverses situations, la pratique de la générosité sera particulièrement puissante et bénéfique. Mais en revanche, si on nous demande de donner, par exemple, des choses qui seraient préjudiciables, à ce moment-là, nous devons nous abstenir de tels dons.

A.G. : On l’a bien compris, il faut que cet acte de générosité soit désintéressé, mais la générosité donne quand même accès à quelque chose. A quoi est ce qu’elle sert ?

M.R. : Le but dans lequel on pratique par exemple la première forme de générosité, c’est de soulager les êtres de leur souffrance temporaire, par exemple, de la souffrance de la faim, de la soif, etc.. Le deuxième objectif poursuivi par la deuxième forme de générosité, c’est de soulager les êtres de leur crainte de perdre la vie. Le troisième objectif, c’est de permettre aux êtres de se libérer définitivement de toutes les souffrances, en leur permettant d’obtenir la libération des cycles des existences et obtenir l’état de Bouddha. En résultat de la pratique respective de chacune de ces formes de générosité, pour ce qui est de la première, soi-même, on pourra jouir, ultérieurement et dans ses vies suivantes, de facilité, d’aisance matérielle. En résultat de la seconde forme de générosité, on pourra jouir soi-même d’une longue vie. On ne subira pas toutes sortes d’interférences et de difficultés, de maladies. Et en résultat de la troisième forme de générosité, soi-même, on rencontrera aisément les enseignements du Dharma, que l’on pourra pratiquer sans interférences et sans difficultés et réunir aisément les causes de l’obtention de l’état de Bouddha. Et c’est également essentiellement dans ce but que l’on doit se consacrer à la pratique de la générosité, avec la motivation d’obtenir l’état de Bouddha, afin de pouvoir accomplir le bien de tous les êtres.

A.G. : Donc on peut ajouter à cette réponse que pour obtenir cet état de Bouddha, il faut accomplir cette générosité, non pas pour le bien d’un seul être, mais vraiment de tous les êtres. On dit également que la générosité doit faire partie du tissu du quotidien. Est-ce que vous êtes d’accord avec ça et est ce qu’on ne pourrait pas dire aussi que la générosité est un entraînement de l’esprit finalement ?

M.R. : Effectivement, il est important de faire l’effort de pratiquer la générosité autant que possible dans notre vie quotidienne. Et cela entre dans le cadre de la pratique du Grand Véhicule en général, où l’on est essentiellement concerné par l’accomplissement du bien d’autrui. Néanmoins, l’engagement à la pratique de la générosité n’est pas comme un engagement formel comme, par exemple, la récitation quotidienne de certains mantras, mais il s’agit de faire de son mieux pour développer cette pratique de la générosité.

A.G. : On a bien compris que faire acte de générosité est quelque chose de très important. Il existe quand même des obstacles, il faut bien le dire. Est-ce que vous pouvez nous détailler un peu à quelles sortes d’obstacles se trouve-t-on confronté en général ? De quelle nature peuvent-ils être, Rimpoché ?

M.R. : De manière générale, ce qui nous empêche d’être généreux, c’est l’avarice. En remède à cette avarice, il est important de méditer sur l’impermanence, de penser que, de toutes façons, nous ne resterons pas toujours dans cette vie et que, de toutes façons, à un moment ou à un autre, notre mort viendra et alors nous devrons partir en laissant derrière nous toutes ces possessions.

A.G. : Pour terminer sur cette réponse, en préparant cette émission, vous m’avez parlé quand même de trois autres obstacles, qui étaient la motivation impure, la méthode impure et les moyens impurs. Pouvez-vous dire un petit mot sur ces trois obstacles ?

M.R. : Parmi ces formes de générosité que l’on pourrait dire erronées, il y a le fait, par exemple, d’être attaché à sa renommée, de rechercher la célébrité etc..Et en fait toutes les dispositions d’esprit, qui ne visent que notre profit ou notre bienfait personnel, sont en fait des motivations inappropriées pour la pratique de la générosité.

A.G. : Pour conclure cette émission, j’aimerais qu’on termine sur un aspect un peu plus pratique. Tout le monde n’a pas les moyens forcément d’être généreux. Ce n’est pas toujours facile à faire. Est ce qu’on peut quand même pratiquer cette vertu et comment faire ?

M.R. : En réalité, on n’est jamais aussi dénué de possession à un point où l’on ne puisse pas pratiquer la générosité, et même la générosité matérielle. Par exemple, même si l’on ne possède qu’un morceau de pain, , rien ne nous empêche d’en donner une miette à une fourmi et avec une motivation appropriée, avec vraiment la disposition d’esprit d’être bénéfique à l’ensemble de tous les êtres. Et grâce à cela, ne serait ce que par rapport à cette miette de pain, on accumule une action extrêmement positive. Il en va de même si l’on donne un verre d’eau ou même quelques gouttes d’eau à un être assoiffé, ou lorsque l’on donne quelques centimes à quelqu’un qui n’a rien et qui mendie. Si on fait ce don avec une disposition d’esprit appropriée, ces biens, d’une valeur si minime, peuvent en fait être une pratique de la générosité, extrêmement vaste et puissante.

A.G. : On en revient donc sans cesse à la motivation, qui doit être la plus pure possible et doit toujours prédominer tous nos actes.

Merci beaucoup, Mogchok Rimpoché, pour tous ces éclaircissements.


Livres présentés lors de l’émission :

L’Art de la gentillesse

Editions : Laffont Robert

ISBN : 978 2 914 916 59 0

« La gentillesse n’est pas un luxe, mais une nécessité. » Le message de Piero Ferrucci est clair : il y a urgence à changer nos rapports avec les autres et nos modes de fonctionnement quotidien. Halte à l’individualisme ambiant !

La gentillesse et les vertus qui lui sont inhérentes - l’empathie, la générosité, la fidélité, la loyauté, la serviabilité ou encore la gratitude et le respect - peuvent apporter d’incalculables bienfaits à qui sait s’en saisir spontanément, sans en attendre de contrepartie. La gentillesse égaye nos vies, elle apaise nos corps.

Elle est une des clefs du bonheur ; du nôtre comme de celui d’autrui. Et si nous la cultivions ensemble ? Telle est l’invitation fort pragmatique et si riche d’espérance que nous propose l’auteur.


La philosophie du bonheur En 365 citations

Janine Casavecchie

Editions : Chêne Editions du

ISBN : 978 2 81250 240 4

Édition : Réunies par Janine Casavecchie


Petits Traités des grandes vertus

André Comte-Sponville

Editions : PUF Editions

ISBN : 2 13 046671 0

« La générosité est la vertu du don ». Des vertus on ne parle plus guère. Cela ne signifie pas que nous n’en ayons plus besoin, ni ne nous autorise à y renoncer. Mieux vaut enseigner les vertus disait Spinoza que condamner les vices. Il ne s’agit pas de donner des leçons de morale, mais d’aider chacun à devenir son propre maître, comme il convient, et son unique juge. André Compte Sponville évoque dans ce livre les plus grandes vertus dont la générosité, qui nous éclairent et nous aident.


Présentation : Aurélie Godefroy

Réalisateur : Michel Baulez


  • Mogchok Rimpoché enseigne à : Marseille, Paris, Cergy, La Rochelle, Narbonne, Pau, Mont de Marsan et la Ciotat.

Tous renseignement : www.mogchokrinpocheasso.fr

Contacts : Isabelle 06 22 25 49 44 / Thomas 06 75 74 57 75 / Josiane 06 60 43 89 34