Émission diffusée le 3 août 2008

Extraits de l’émission :

Aurélie Godefroy : Les grands maîtres tibétains ont toujours eu une existence exceptionnelle, souvent inspirante. Aussi nous consacrons aujourd’hui notre émission à l’un d’entre eux, Gampopa, de la lignée Kagyupa. Quel est son parcours ? Qu’en est-il de sa relation avec son maître Milarepa, dont il fut le principal disciple ? Quels sont les grands enseignements que nous a laissé Gampopa ? Et enfin, quel rôle a-t-il tenu dans la lignée Kagyupa ? J’ai le plaisir d’accueillir pour nous en parler, Lama Puntso.

Lama Puntso, bonjour. Vous êtes moine depuis vingt ans, vous avez accompli la retraite de trois ans et vous avez été le disciple de Guendune Rimpoché. Vous appartenez à un groupe de travail qui mène une réflexion sur la façon dont le bouddhisme peut s’insérer dans la société et apporter quelque chose à la société, notamment à travers l’éducation, je crois. Et vous dispensez un certain nombre d’enseignements à travers la France. Merci d’être avec nous aujourd’hui. C’est vrai que Gampopa a eu un destin exceptionnel. C’était un enfant précoce qui est devenu médecin à peine sorti de l’adolescence. Il était considéré également comme un grand érudit. Le tournant décisif de ce destin a été la mort de sa femme et celle de ses deux enfants, de façon très subite ?

Lama Puntso : Dans toutes les grandes traditions, il y a des personnages emblématiques qui laissent une marque dans leur époque et une trace dans la durée. Et Gampopa est un de ces êtres qui a eu à la fois une vie tellement humaine – on va le voir avec le décès de sa femme- et en même temps, il a réussi à recevoir, à préserver et à transmettre cet enseignement essentiel du Bouddha.

A.G. : Tout a commencé au moment de la mort de sa femme ?

Lama Puntso : Oui. Cet homme était médecin et une épidémie a sévi dans la région où il vivait. Ses deux enfants sont décédés. Sa femme également a été contaminée par la maladie. Il était à son chevet et il s’est rendu compte qu’elle n’arrivait pas à mourir, elle ne s’autorisait pas à mourir. Il l’a accompagnée jusqu’au bout et il a fait le serment de s’engager complètement dans la voie du dharma, de prendre les vœux monastiques… c’est à ce moment là que sa femme est décédée. Cela a été un virage dans sa vie, puisqu’il s’est complètement investi dans l’écoute, l’étude et la méditation bouddhiste.

A.G. : Il devient donc bhikkhu. Il reçoit l’ordination monastique majeure. Puis, à un moment donné, il a des visions. Il voit Milarepa, qui est à l’époque un très grand maître tibétain. Il décide d’aller à sa rencontre. Est-ce qu’on pourrait dire deux mots sur ce grand maître, Milarepa ? Qui était-il ?

Lama Puntso : Milarepa est aussi un de ces êtres emblématiques, yogi, artiste. C’est un merveilleux poète, un méditant hors pair, on pourrait dire. Milarepa a transmis l’enseignement de façon tellement directe - il était aussi le détenteur de la tradition du mahamoudra, cette tradition qui permet la reconnaissance de la nature de l’esprit – que ce maître était, on pourrait dire, l’incarnation même de l’enseignement. Il le vivait complètement, il vivait dans les ermitages et dans les grottes.

A.G. : Donc sa réputation s’étendait déjà au-delà du Tibet. Comment s’est passée cette rencontre entre Gampopa et Milarepa ?

Lama Puntso : L’anecdote, c’est que Gampopa a entendu le nom de Milarepa par hasard, par trois mendiants, alors qu’il tournait autour d’une stoupa, et cela a réveillé ce qu’on appelle une connexion karmique, un lien qu’il avait avec ce maître déjà bien avant et il s’est évanoui, il a perdu connaissance un long moment et quand il est revenu à lui, il n’avait plus qu’une seule volonté, un seul désir : aller à la rencontre de ce maître. L’histoire dit que Milarepa était conscient de cela dans sa méditation. Et de temps en temps, il se réjouissait de voir Gampopa arriver et aussi il était triste de le voir faire face à tous ces obstacles, jusqu’à ce qu’il soit au seuil de rencontrer son maître.

A.G. : Alors justement, comment se passe cette rencontre ?

Lama Puntso : Juste avant la rencontre, Milarepa envoie une de ses disciples pour recevoir Gampopa et cette disciple dit à Gampopa :

« J’ai été envoyée par ton maître, ton futur maître, qui a fait ton éloge. »

Gampopa développe quelques pensées d’orgueil. Cependant, Milarepa lui fait dire d’attendre une quinzaine de jours et de méditer pour préparer une rencontre avec moins d’orgueil. Et le moment où ils se rencontrent est un moment très touchant car l’un et l’autre ressentent qu’ils sont faits pour se rencontrer, que la transmission va pouvoir prendre place.

Milarepa offre un merveilleux champ de réalisation à Gampopa et c’est à ce moment que la transmission va commencer.

A.G. : Il y a une vraie réciprocité dans leur relation. Comment cette relation va-elle se dérouler par la suite ?

Lama Puntso : Gampopa va recevoir de Milarepa toutes les instructions sur la méditation et aussi sur ce qu’on appelle les six doctrines de Naropa les enseignements les plus secrets, les plus intimes de cette transmission. Gampopa va être évidemment un pratiquant zélé, comme tout pratiquant. Là aussi on voit la dimension humaine de ce cheminement : il rencontre des obstacles, des difficultés. A chaque fois il va voir son maître, il reçoit les instructions, et ainsi, progressivement, il atteint la réalisation de l’Eveil.

A.G. : Est-ce que vous pouvez nous dire un mot de ces derniers instants, très beaux et en même temps tragiques, entre Milarepa et Gampopa, parce qu’il y a quand même eu un rendez-vous manqué, qui a désespéré Gampopa ?

Lama Puntso : Oui, avant le rendez-vous manqué, il y a le moment de leur séparation.

Milarepa et Gampopa marchent ensemble, ils vont se séparer. Toute la transmission est terminée.

A.G. : Milarepa demande à Gampopa de retourner dans sa province natale pour y méditer ?

Lama Puntso : Oui, Gampopa s’en va et Milarepa le rappelle et lui dit qu’il va lui donner une ultime instruction. A ce moment là, Milarepa montre ses fesses à Gampopa. Pourquoi ? Parce qu’elles sont toutes calleuses. Cette peau épaisse qui a passé des heures et des jours et des semaines en méditation, assis sur le coussin. Et il dit à Gampopa que cette instruction veut dire de ne jamais arrêter de pratiquer. Un peu avant, il lui avait donné une autre instruction qui était de revenir à un certain endroit, à un certain moment. Gampopa s’en va et il n’a pas l’occasion de revenir à cet endroit. Le jour où il revient, plus tard, pour voir Milarepa, il est déjà décédé, il a quitté son corps. Evidemment, pour Gampopa c’est une profonde tristesse. Il accomplit toutes les prières nécessaires, avec ses amis et ses frères, disciples de Milarepa, ils pratiquent ensemble, et il a une vision de Milarepa . A partir de là, Gampopa souhaite vraiment continuer à pratiquer la méditation et à continuer à rester en retraite.

A.G. : Est-ce qu’il va y arriver ?

Lama Puntso : Il trouve des endroits tout à fait propices à la méditation mais dans sa méditation, , il a, soit des visions, soit des intuitions qui disent :

« Méditer, c’est bien, mais, à un certain moment, le bodhisattva doit enseigner. »

Malgré tout, il essaye de rester en retraite et en méditation, mais là où il est , petit à petit, les disciples arrivent.

A.G. : A la fin, il y en a quand même soixante mille qui sont autour de lui, et donc il ne parvient pas à rester en retraite et à méditer ?

Lama Puntso : Tout à fait, mais il a guidé vers la méditation toute une série de pratiquants différents : soit ceux qui sont partis dans les grottes et les ermitages pour mettre en œuvre les instructions de méditation, soit ceux qui n’avaient pas l’occasion de pratiquer aussi intensément dans le quotidien. Donc il a vraiment dispensé l’enseignement sous tous ses aspects.

A.G. : Et lorsque lui-même s’éteint, est ce que certains de ses disciples vont prendre la relève ? Comment cela s’est passé ?

Lama Puntso : Je dirais que c’est plus qu’une relève, c’est une impulsion et une continuité, puisqu’à partir de Gampopa, il y a une douzaine de lignées qui vont se déployer, à partir de ses différents disciples, cet enseignement qu’il a propagé, va être propagé au fil des siècles. C’est vraiment grâce à ces caractéristiques des maîtres qui ont une éthique pure, et qui mettent tellement d’énergie à préserver quelque chose pour pouvoir le transmettre en le gardant vivant. C’est ce que Gampopa a réussi à faire au travers de ses différents disciples et les lignées sont aujourd’hui encore vivantes.

A.G. : On pourrait dire qu’il a réussi à assembler en un seul fleuve la tradition monastique de l’époque et la tradition yoguique ?

Lama Puntso : Tout à fait, la tradition monastique, la tradition yoguique et cette approche progressive, l’entraînement de l’esprit en sept points, le développement de l’esprit progressif et il a enrichi une lignée qui était déjà très riche.

A.G. : Aujourd’hui encore, c’est très important pour cette lignée ? Quel est votre rapport à Gampopa ?

Lama Puntso : Gampopa reste un exemple, mais aussi il y a des pratiques méditatives qui sont associées à lui, les pratiques progressives de méditation sur le mahamoudra et on a, en tant que pratiquant avec un maître comme celui-là, une relation très intime, très personnelle, très inspirée.

A.G. : Est ce que vous pouvez nous dire quelques mots sur cette pratique méditative ? De quoi s’agit-il ?

Lama Puntso : On appelle mahamoudra, à la fois un chemin spécifique que je vais expliquer, mais aussi le fruit de ce chemin. Réaliser le mahamoudra, cela signifie réaliser la nature de notre esprit. Et ce qui caractérise cette transmission, c’est qu’il y a trois aspects :

Ce qu’on appelle le mahamoudra des sûtras, qui consiste en une approche progressive, à travers laquelle on va prendre conscience de notre véritable situation, développer l’esprit d’éveil et pratiquer progressivement la méditation. Il y a ensuite le mahamoudra des tantras, qui demande la transmission d’une initiation complète à partir de laquelle on va pratiquer ce qu’on appelle la phase de création et de résomption d’une divinité de méditation et ceci a pour but le même objectif, c’est-à-dire la reconnaissance de la nature de l’esprit. Il y a, associé à cela, la pratique des six doctrines de Naropa. Et enfin, il y a ce qu’on appelle le mahamoudra de la dévotion, ce dont on parle dans la relation entre Gampopa et Milarepa. C’est cette relation intime entre le disciple et le maître qui donne les instructions au fur et à mesure de la pratique, pour permettre au disciple de dissiper les voiles et de reconnaître la nature de l’esprit. En un mot, cette pratique méditative commence par la pacification de l’esprit, samatha, et est suivie par vipassana, c’est-à-dire le développement du discernement, reconnaître les véritables qualités qui sont en nous et les amener à maturité, c’est-à-dire l’éveil.

A.G. : Vous venez de parler de la relation entre le maître et le disciple. Il faut rappeler que c’est quelque chose de très important ?

Lama Puntso : Tout à fait, c’est associé à cette pratique du mahamoudra.

A.G. : Pour terminer cette émission, pouvez vous nous dire un mot sur le principal ouvrage qu’il nous a laissé, qui est un ouvrage d’une importance colossale ?

Lama Puntso : « Le Joyau ornement de la libération ». C’est un cadeau pour nous, parce que Gampopa a rassemblé tout l’enseignement progressif donné par le Bouddha dans les sûtras. C’est ce qu’on appelle un « lamrim », un chemin progressif, un enseignement progressif. Et il a été dit par Gampopa lui-même, que pour ceux qui n’ont pas eu l’occasion de le rencontrer, le fait de lire ce texte, c’est comme si on était face à lui à entendre ses paroles. C’est un texte extrêmement inspirant et utile, encore aujourd’hui pour les pratiquants.

A.G. : Est-ce qu’il a écrit encore autre chose ?

Lama Puntso : Oui, il y a ce qu’on appelle les quatre dharmas de Gampopa. C’est également toute une approche progressive, une façon de rentrer en relation avec la réalité, avec l’esprit, comment parler du renoncement. On arrive petit à petit, à reconnaître la confusion et l’illusion comme sagesse.

A.G. : Merci beaucoup, Lama Puntso, d’avoir été avec nous aujourd’hui.


Livres présentés lors de cette émission :

Maître et disciple

Lama Guendune Rinpoché

Editions : Dzambala Editions

ISBN : 2 906940 15 1

Lama Guendune Rinpoché (décédé en 1997) est le fondateur de la congrégation Dhagpo Kagyu Ling à St Léon sur Vézère et dans ce livre il exprime une synthèse de ses enseignements, où est abordé particulièrement le lien privilégié qui se crée entre le lama et le disciple dans le processus de transmission du Dharma.


L’Ondée de Sagesse - Chants de la lignée kagyu

Editions : Editions Claire Lumière

ISBN : 2 905998 81 4

Édition : traduit du tibétain par Christian Charrier

Un recueil des chants rédigés entre autres par les fondateurs de cette lignée importante du bouddhisme tibétain, comme Marpa, Gampopa ou encore Milarépa. Chaque chant est précédé d’une introduction, et d’une biographie de chacun des Maîtres.


Vie de Gampopa

Jampa Mackenzie Stewart

Editions : Editions Claire Lumière

ISBN : 2 905998 35 0

Gampopa fut le principale disciple de Milarépa. Sa vie est passionnante à plus d’un titre : on y suit les douleurs, les doutes, le cheminement, les enthousiasmes et les réalisations d’un homme à l foi exceptionnel et proche de nous. On retrouve dans ce livre une synthèse pleine de vie, imprégnée du parfum de la réalisation de Gampopa.


Présentation : Aurélie Godefroy

Réalisateur : Claude Darmon

Remerciements à Madame de Mareuil pour sa gracieuse et fidèle collaboration à la rédaction de la transcription de l’émission.