Émission diffusée le 31 août 2008

Extraits de l’émission :

Aurélie Godefroy : Cette émission est consacrée aux conflits, à la violence et à la guerre. C’est un sujet important car plus que jamais d’actualité. On l’a vu encore récemment avec les événements en Birmanie. On peut se demander quelles sont les sources de ces conflits ? S’il existe un dénominateur commun chez l’homme qui puisse générer une telle violence ? Quelles valeurs du bouddhisme peuvent nous aider à y faire face et comment les cultiver ?

Pour évoquer toutes ces questions, nous accueillons sur ce plateau, Sœur Chan Kong. Sœur Chan Kong, bonjour et merci d’être avec nous. Vous êtes Vietnamienne. Vous étiez d’ailleurs dans votre pays au moment de la guerre, dans les années 1960. Vous avez ensuite rejoint la France avec votre maître Thich Nhat Hanh en 1968, où vous avez fondé la communauté du village des Pruniers, dans le Sud de la France. Vous y êtes toujours aujourd’hui et vous animez un réseau d’entraide en faveur des enfants Vietnamiens. Pour évoquer ce sujet, je voulais qu’on commence par essayer de voir si, selon vous, puisque vous avez vraiment vécu cela de très prés, il y avait un dénominateur commun à toute cette violence. Qu’est ce qui peut déclencher cela ? Est-ce qu’il y a une source unique ?

Sœur Chan Kong : Selon l’enseignement du Bouddha, d’après l’école dont je suis descendante, le Bouddha a décrit 51 états mentaux dans notre esprit. L’un de ces états mentaux est la perception. La perception, c’est que l’on perçoit seulement une partie de la réalité, une partie de l’autre personne, mais on est si sûr que la personne est comme ça, que cet événement est comme ça, on est si sûr, qu’on est prêt à mourir. Quand vous tombez amoureux d’un homme ou d’une femme, vous êtes sûr que ce monsieur ou cette dame est comme çi ou comme ça, à 100 %. Mais en fait, vous êtes tombé amoureux seulement d’une perception de vous-même. Vous avez perçu seulement une partie d’elle ou de lui, et vous avez construit une image de lui ou d’elle, d’après des expériences que vous avez vécues, de vos ancêtres, dans le ventre de votre mère, dans votre enfance, dans votre jeunesse. Et ensuite, vous êtes mis en face de la réalité, vous êtes surpris et vous essayez de forcer la réalité de l’autre à votre guise.

A.G. : C’est cette perception erronée qui génère cette violence ?

Sœur Chan Kong : Oui.

A.G. : Vous étiez auprès de Thich Nhat Hanh lorsqu’il a lancé ce mouvement du bouddhisme engagé. Est-ce que vous pouvez nous expliquer ce que c’est ?

Sœur Chan Kong : Le bouddhisme engagé : le mot Bouddha veut dire éveillé, voir profondément la vie et essayer de venir en aide, premièrement pour soi-même, pour être en paix, limpide, clairvoyant, et aider l’autre avec les moyens que nous pouvons offrir.

Etre en paix dans tous les niveaux de vie. Souvent on pense que le bouddhisme, c’est faire la méditation toute la journée. Mais le Bouddha, durant sa vie, n’est pas resté assis toute la journée. Il a marché et en marchant, il a cultivé sa concentration ; il a mangé et en mangeant, il a cultivé sa concentration. Et il était engagé dans tous les niveaux de vie. Et nous, au village des Pruniers, nous essayons d’offrir cet engagement dans tous les niveaux de vie.

A.G. : Dans votre livre « La force de l’amour », il y a un passage qui concerne l’enterrement d’un de vos proches, donc, à l’époque, dans les années 1960, au moment de la guerre du Vietnam et vous dites, je vous cite :

« Nous n’avons aucune haine contre vous, vous qui avez jeté ces grenades et tué nos amis. Nous savons que les hommes ne sont pas nos ennemis. Nos seuls ennemis sont le manque de compréhension, la haine, la jalousie, le malentendu et l’ignorance qui conduisent à de tels actes de violence. »

Est-ce qu’on peut parler dans ce cadre de compassion active ?

Sœur Chan Kong : Oui, c’est comme je l’ai dit tout à l’heure. Les gens qui ont lancé des grenades, ont seulement perçu une partie de nous. Ils sont si sûrs que nous sommes communistes ou que nous sommes pour les Américains, ils sont si sûrs de ceci ou de cela, et ils ont tué cette perception qui n’est pas nous. C’est pourquoi nous avons dit : « Nous ne pouvons pas vous haïr, parce qu’en vous, vous avez la nature du Bouddha, mais vous ne vous êtes pas entraînés à devenir plus calme, plus paisible, c’est pourquoi vous avez perçu de façon erronée. Et nous détestons cette perception erronée, mais pas vous. »

A.G. : Une des solutions pour essayer de contrer cette violence serait peut-être de mener aussi une réflexion sur l’être humain et son éthique. Selon vous, quelles sont les valeurs essentielles, même si on ne devait retenir qu’une seule valeur, du bouddhisme, qui pourrait nous aider justement à lutter contre cette violence ?

Sœur Chan Kong : Je pense que c’est la paix. Tout le monde peut l’avoir, au moins la paix en soi-même.

A.G. : Comment la mettre en place ?

Sœur Chan Kong : Le Bouddha nous a offert beaucoup d’instruments. Premièrement, quand nous sommes en colère, nous pensons toujours que c’est nous qui sommes en colère et que l’autre est très heureux de nous causer beaucoup de mal. Mais lui est aussi malheureux et c’est à cause de cela que nous devons essayer de trouver notre paix. Le Bouddha a dit :

« Pendant ce temps, reviens à ton inspiration, à ton expiration. »

Je me calme, je relâche les tensions. Je ne pense même pas aux causes, aux événements qui m’ont causé tant de colère, pour me dissocier de ces agitations, de ces émotions fortes et pour toucher ma paix. Je me calme. Et quand j’inspire et expire trois ou quatre fois, un courant de paix est revenu. Quand on est en colère, on n’est pas tellement clairvoyant, donc, il vaut mieux toucher notre paix d’abord, avant de décider. Et quand on a accepté cette sérénité, on a beaucoup d’initiatives, et on peut agir d’une façon très artistique, très compatissante, de façon à toucher la beauté et la bonté chez l’autre et l’autre va changer.

A.G. : Vous parlez de compassion. Est-ce que la compassion et la compréhension sont, selon vous, les deux éléments indispensables pour dissoudre la violence ?

Sœur Chan Kong : Oui, dans le bouddhisme, le salut n’est pas venu par la grâce mais, de façon très concrète, par la compréhension et la compréhension compatissante, c’est-à-dire qu’on essaye d’être UN avec l’objet de notre observation, d’être dans ses difficultés, ses souffrances, pour ne pas trop lui en vouloir, pour pouvoir le comprendre et l’accepter et même l’aimer. Et quand on peut comprendre et accepter, on peut facilement aimer.

Cela n’est pas une lutte entre le mal et le bien, simplement on a compris et on aime.

A.G. : Ce qui est important aussi, c’est de guérir. Si on ne guérit pas, on transmet nos souffrances et nos blessures aux générations futures. Est-ce qu’il existe des outils concrets que vous pouvez nous donner pour essayer d’aller mieux, de guérir et ne pas transmettre toutes ces blessures ?

Sœur Chan Kong : Un soir, dans un village, je suis venue pour enseigner les enfants et jouer avec eux qui ont tellement souffert de la famine. Je leur apportais des médicaments et de la nourriture. Et ce jour là, on était en 1966, j’ai été très choquée de voir autant de soldats américains, car dans ce village, il n’y a ni communistes ni soldats du gouvernement.

Et là, il y avait énormément de soldats américains, armés jusqu’aux dents, qui nous regardaient. Et, en les regardant à mon tour, j’ai vu qu’ils avaient très peur de nous. Et j’ai pensé à ces jeunes occidentaux, très aimables dans leur pays. Mais quand ils sont envoyés dans un pays lointain, ils n’en connaissent pas la culture et ils ont peur. Et après être revenue au calme, en respirant, en relâchant les tensions, je les ai approché, en leur demandant ce qu’ils voulaient, avec une voix très gentille, très calme et bienveillante. Ils m’ont répondu agressivement qu’ils cherchaient des communistes. J’ai dit qu’il n’y en n’avait pas ici, toujours en restant calme et bienveillante. Ils ont essayé de fouiller, sans rien trouver, puis ils se sont retirés.

A.G. : Quelles peuvent être les différentes formes de résistance aujourd’hui face à la violence ? Qu’est ce qu’on peut faire ?

Sœur Chan Kong : Pour faire reculer la violence et la dictature, je pense que la seule façon, c’est de faire une pression internationale, médiatique. Mais souvent, quand la pression internationale est très forte, mais pas tellement amicale, la dictature peut se reculer, puis faire un coup de pied derrière.

Alors que si la pression internationale est amicale, comme je l’ai fait durant la première année du régime communiste Vietnamien, les choses sont différentes. La violence, la répression étaient très grandes et nous avons cherché quelques miettes d’ouverture pour encourager le gouvernement.

Nous avons préparé des petites lettres, pas plus d’une page, pour apprécier les vraies valeurs d’ouverture du régime, pour les remercier d’avoir ouvert économiquement ceci et cela, et après cela, nous avons dit : cependant, il y a tels moines emprisonnés et condamnés à mort ou à perpétuité. Peut-être le sont-ils par erreur et peut-être pouvez vous reconsidérer la chose ? Mais une lettre ne suffit pas. Après une tournée aux USA, nous avons rassemblé environ 1500 lettres, toutes très respectueuses, mais fermes.

Un dernier point : même si nous envoyions des lettres très gentilles, il existait quand même une très grande peur vis-à-vis de notre maître. Si bien que celui-ci a décidé d’aller au Vietnam. Il est venu avec deux cents de ses disciples. Nous avons transformé les hôtels en salles de méditation. Nous marchons dans la paix. Nous regardons avec amour tous les gens, les gendarmes, les agents de sécurité. Nous avons répondu aux questions avec beaucoup de calme, d’amour, de compréhension et, peu à peu, nous avons enlevé la peur, tout doucement, pas tout, mais le gouvernement a pu observer que derrière nous, il n’y avait pas une force politique qui voulait le renverser, et que nous voulions simplement offrir la paix, la compréhension et l’amour à notre pays. C’est tout.

A.G. : Très bien. Merci beaucoup, sœur Chan Kong.


Livres présentés lors de cette émission :

La paix, un art, une pratique

Thich Nhat Hanh

Editions : Bayard Editions

ISBN : 2 227 436 47 6

Si nous sommes en paix avec nous-mêmes, si nous sommes heureux, nous pouvons sourire et nous épanouir, et chacun, dans notre famille, dans la société tout entière profitera de notre paix. C’est par notre aptitude à sourire, à respirer, à ETRE PAIX, que nous pouvons amener la Paix. Ce message de Thich Nhat Hanh est le fondement de son enseignement. Il vit en Dordogne depuis 1982 où il anime une communauté bouddhiste très vivante et très accueillante « Le Village des Pruniers ».


La Paix en soi, la paix en marche

Thich Nhat Hanh

Editions : Editions Albin Michel

ISBN : 2 226 17290 4

Cultiver la paix en soi, au sein de la famille, de la société, de la communauté internationale, ne relève pas du miracle, c’est un art accessible à tous pour vivre dans l’harmonie.
Cet art d’écouter l’autre et d’entrer en relation profonde avec lui, au-delà de tous les obstacles, Thich Nhat Hanh, maître zen vietnamien, qui fut l’un des principaux dissidents face au régime imposé par les Américains au Sud-Vietnam, l’a mis en pratique au cours de nombreuses rencontres, comme celle entre Israéliens et Palestiniens relatée ici, et qui a eu lieu en 2001 au village des Pruniers, en Dordogne où il réside depuis 1982. Au-delà des « bons sentiments », cet art s’appuie sur une méthodologie précise que Thich Nhat Hanh résume en cinq points qui sont autant de thèmes pour une pratique quotidienne de la paix.


Esprit d’amour, esprit de paix

Thich Nhat Hanh

Editions : JC Lattès Editions

ISBN : 2 7096 2603 9

Nous ne sommes pas sans ressource face à la violence. La paix véritable est toujours possible. Avec son inimitable mélange de bienveillance, de candeur et de courage, Thich Nhat Hanh nous offre un vrai message d’espoir et nous exhorte à ne pas baisser les bras : nous pouvons faire vivre la paix, ici et maintenant. Nous détenons en effet un pouvoir précieux, celui de générer la compréhension et la compassion à tous les niveaux de notre vie : individuel, familial, professionnel… Ce livre, guide de transformation spirituelle, mêle paraboles et techniques de méditation, auxquelles s’ajoutent les souvenirs de cet inépuisable « combattant de la paix », notamment au Vietnam. Il nous aide à mieux vivre en cultivant la non-violence.


Paroles de Sagesse (présenté sous forme de coffret)

Thich Nhat Hanh

Editions : Véga Editions

ISBN : 2 85829 454 2

Le célèbre maître bouddhiste Thich Nhat Hanh fascine le monde entier par son rayonnement et sa sagesse. Ce coffret vous offre ses merveilleux messages de paix, d’amour, de connaissance transcendantale, de compréhension et de compassion. Ces paroles de vérité, présentées sur de belles cartes nous montrent le chemin de la paix intérieure et incitent à la méditation. Le livre joint présente le maître TNH et nous initie à sa doctrine et à sa pratique de l’attention


Pour une métamorphose de l’esprit

Thich Nhat Hanh

Editions : Pocket Spiritualités Editions

ISBN : 978 2 266 16816 8

Pour ressentir, réfléchir ou méditer, nous utilisons le même outil : notre esprit. Mais comment espérer nous améliorer si nous n’en connaissons pas le fonctionnement ? S’appuyant sur quelques-uns des textes fondateurs des plus importants courants bouddhistes, Thich Nhat Hanh a rédigé cinquante stances — et leurs commentaires — afin d’expliquer la nature et les mécanismes de la conscience. Il y révèle notamment comment les différents « niveaux de pensée » peuvent générer une vision du monde fragmentée, source de conflits et de souffrance. Son enseignement fournit alors les clés pratiques pour véritablement comprendre notre esprit, modifier notre perception de l’univers et procéder ainsi à une profonde et bénéfique transformation intime.


Présentation : Aurélie Godefroy Réalisateur : Michel Baulez

Remerciements à Madame de Mareuil pour sa gracieuse et fidèle collaboration à la rédaction de la transcription de l’émission.