Émission diffusée le 30 mars 2008

Extraits de l’émission :

Aurélie Godefroy : Dimanche dernier, nous avons vu quel était le lien, mais aussi les grandes différences entre la voie du bodhisattva et celle du bhikkhu. C’est à cette dernière que nous allons nous intéresser aujourd’hui plus en détails. Comment devenir un bhikkhu ? Quelles sont les règles à observer ? Est-ce qu’il existe différentes façons de vivre ce statut de bhikkhu ? Et enfin, quel est son rôle dans notre société actuelle ? Il y a très peu de conditions à remplir, c’est assez simple. Il faut d’un côté, disposer des quelques biens matériels que le bhikkhu est autorisé à posséder en propre. Et puis, ce qui est le plus important, c’est d’être totalement libre de toutes contraintes, contraintes familiales ou sociales, d’une façon générale. Par exemple, un enfant doit avoir l’autorisation de ses parents, quelqu’un qui est marié doit avoir l’autorisation de son conjoint. Il faut être libre de dettes, libre du service militaire, ne pas être fonctionnaire sans avoir eu l’autorisation de son ministère de tutelle, par exemple etc .. A partir du moment où l’on remplit ces deux conditions, on peut devenir un bhikkhu.

A.G. : Est-ce que lorsqu’on intègre la communauté, finalement c’est une deuxième naissance ?

D.T. : C’est une idée intéressante. Symboliquement, dans certains courants du bouddhisme theravada, on pense même que le vêtement qui est offert au bhikkhu est comme un deuxième placenta. Et il y a des textes effectivement – cela mériterait une émission en soi – qui montrent comment quelqu’un, qui entre dans la voie du bhikkhu, abandonne sa vie passée, donc là, c’est vraiment une deuxième naissance.

A.G. : De nombreuses règles ont été instaurées vis-à-vis des bhikkhus – il en existe 227 je crois – quelles sont les principales ? Est-ce qu’on peut résumer les deux ou trois points essentiels ?

D.T. : Il y a une anecdote amusante à ce sujet. Le Bouddha, d’après la tradition, a lui-même édicté un certain nombre de règles, au fur et à mesure des circonstances, quand l’occasion s’est présentée. Et ainsi, elles s’accumulent, sans supprimer les précédentes. C’est pour cela que l’on arrive à un total de 227, voire de 250, dans certaines traditions. Mais un jour, un moine est allé voir le Bouddha et lui a dit :

  • Je ne peux pas me souvenir de toutes ces règles-là Est ce que vous pourriez me donner un vinaya ( C’est le nom qu’on donne à l’ensemble des règles ) un peu plus restreint ? Le Bouddha lui demande :
  • Peux-tu te souvenir de trois règles ?
  • Oui, bien sûr, répond –il.
  • Alors, maîtrise ton corps, maîtrise ta parole et maîtrise ton esprit. C’est l’essentiel des règles.

Les raisons pour lesquelles le Bouddha a instauré ces règles se résument généralement en trois points : c’est d’assurer le bien-être du pratiquant, d’assurer le bien-être de la communauté et d’assurer les bonnes relations de la communauté avec la société.

A.G. : Dans quel contexte, le Bouddha a-t-il instauré ces règles ? Y a-t-il eu un élément déclencheur ?

D.T. : Oui, il y a eu un élément déclencheur assez cocasse. Lorsque la communauté des bhikkhus est née, il s’agissait de personnes qui avaient déjà connu l’Eveil. Mais toutes ne vivaient pas l’Eveil forcément à la façon du Bouddha et un des jeunes bhikkhus avait quitté sa femme et sa famille, sans laisser d’héritier, ce qui, dans l’Inde de l’époque, était extrêmement dommageable pour la famille. Il fallait absolument qu’il y ait un héritier. Aussi, un jour qu’il se trouvait à proximité de son ancien domicile, ses parents sont venus lui demander s’il ne pouvait pas honorer sa femme, une fois au moins, pour donner un héritier à sa famille. Lui, bien sûr, considérait que, s’il faisait cela, ce n’était pas en rupture avec l’état d’esprit du Bouddha, qu’il faisait cela sans désir, sans appétit sexuel particulier. C’était juste par compassion, pour rendre service. Mais Bouddha a trouvé qu’il avait poussé le bouchon un peu loin quand même et donc, il a décrété qu’un Bhikkhu ne devait avoir aucune relation sexuelle, au-delà de cette date. C’est la première règle qui sera instituée. On ne peut pas dire écrite, puisque ce sera écrit quelques siècles plus tard. Il y a même des écoles qui n’ont jamais rédigé leurs règles. C’est toujours la transmission orale. Mais l’essentiel, c’est quand même l’esprit des trois règles que j’évoquais tout à l’heure. En fait, il s’agit de se maîtriser.

A.G. : Justement, parmi ces règles, il existe quatre points pour l’infraction desquels le Bhikkhu peut être expulsé de l’ordre. Quels sont-ils et comment cela se passe-t-il ?

D.T. : Ce qui est le plus intéressant, c’est quand on regarde la façon dont c’est rédigé. En fait le moine s’expulse lui-même et la communauté prend acte. Il y a deux types de règles : il y a des règles qui sont d’ordre communautaire, des règles de bienséance, de relations sociales. Et puis il y a des règles qui font que la personne n’est plus dans la voie du Bouddha. Elle a agi de telle manière qu’on ne peut plus considérer qu’elle met en pratique l’enseignement du Bouddha. Et du point de vue du karma, elle subira les conséquences de cet acte, qui fait que, par cet acte là, elle ne recherche pas l’Eveil. Donc les quatre points principaux qui mettent de fait hors de la communauté et que la communauté sanctionne, après, sont : Le fait de tuer, de voler, d’avoir des relations sexuelles et de tromper les gens en s’attribuant des pouvoirs spirituels qu’on n’a pas réalisé. Il faut vraiment les comprendre comme quelque chose qui fait qu’on s’expulse soi-même.

A.G. : Et en plus, le bhikkhu ne pourra même pas réintégrer l’ordre plus tard, c’est définitif ?

D.T. : C’est définitif. La communauté déclare que c’est vraiment un karma trop pesant, qui fructifiera de son côté. La communauté ne punit pas. Elle ne fait que constater que le bhikkhu ne fait plus partie et ne pourra jamais plus faire partie de la communauté, parce que cela aussi c’est extrêmement important : quelqu’un qui agit sous un coup de folie ne sera pas exclu, parce qu’il n’a pas été conscient. Il ne l’a pas fait volontairement et c’est cela qui est important dans le karma : c’est le fait de faire les choses volontairement et consciemment.

A.G. : Tout à l’heure, vous évoquiez les huit biens autorisés au bhikkhu. Est-ce que vous pouvez nous les détailler ?

D.T. : Ils sont très simples, car le bhikkhu est censé ne se préoccuper de rien et se contente de peu. Il y a deux façons de présenter les choses : Il y a ce qu’on appelle les quatre nécessités et les huit autorisées. Les quatre nécessités normalement, ce sont :

  • se contenter de la nourriture reçue en aumône, se contenter de vêtements faits de haillons ou des branches d’un arbre comme seul domicile, et se contenter – en Inde au cinquième siècle avant Jésus-Christ – d’urine fermentée de vache, comme médicament. C’est une façon de présenter les choses.

Ensuite, les huit objets qu’un bhikkhu a le droit de posséder personnellement - il peut user de beaucoup de choses, mais cela appartient à la communauté, cela ne lui appartient pas en propre - ce sont :

  • ses trois vêtements : la robe, le manteau et l’étole. Il y a une ceinture aussi. Il y a le bol à offrandes, l’aiguille qui lui permet de réparer ses vêtements, le filtre pour l’eau, pour ne pas risquer de boire de l’eau dans laquelle se trouveraient des insectes et le rasoir pour se couper les cheveux.

A.G. : Très bien. Il arrive souvent que de jeunes hommes, après leurs études, fassent un passage dans la vie monastique. On peut qualifier cela de bhikkhus temporaires. Est ce que vous pouvez nous en parler un peu ? Est-ce que les règles sont les mêmes ? Est-ce que c’est bien vu ?

D.T. : Dans le bouddhisme, tout est considéré comme impermanent, même la prise de vœux est impermanente. D’ailleurs, il y a une cérémonie qui a lieu toutes les quinzaines lunaires, pour renouveler ces vœux. Donc, on peut très bien envisager qu’un moine rompt ses vœux. Cela n’est pas considéré comme honteux. C’est plus rare en revanche qu’il revienne dans la communauté, mais on a des exemples dans le Canon de personnes qui sont revenues deux ou trois fois. C’est quelque chose d’acceptable. Cela n’a pas été pendant très longtemps quelque chose de fréquent, surtout dans l’école theravada, à Ceylan. En revanche, c’est devenu quelque chose de tout à fait traditionnel dans les pays d’Asie du Sud Est, en Birmanie, en Thaïlande, au Cambodge. Et généralement, il y a deux périodes de la vie où on fait cela : Soit à l’âge de raison, à 7, 8 ans, soit juste avant d’entrer dans le marché du travail ou avant de se marier, vers la vingtaine. Quand on a 7, 8 ans, on devient ce qu’on appelle un novice. Et à la vingtaine, on reçoit plutôt l’ordination majeure. Mais c’est pour un temps déterminé. Généralement, c’est pour les trois mois, la retraite de la saison des pluies. Ce qui correspond aussi aux vacances scolaires dans ces pays d’Asie du Sud Est. Mais cela peut être beaucoup plus longtemps : pour un an, deux ans, trois ans et on peut effectivement renoncer à ses vœux et revenir.

A.G. : C’est bien vu également, parce que c’est important aussi pour les familles d’avoir un membre de leur famille qui soit bhikkhu et cela montre l’importance également du bhikkhu dans le tissu social. On l’a vu dans les événements récents en Birmanie. Est ce que vous pouvez nous expliquer ce lien très fort avec la population ?

D.T. : En fait, on peut considérer que dans toutes les familles bouddhistes, vous avez un membre masculin de la famille, puisque l’ordre féminin a quasiment disparu dans tous les pays, il y a un membre masculin de cette famille qui est bhikkhu . Chaque famille a un parent, un père, un oncle, un neveu, un fils qui est bhikkhu. Donc c’est vrai que les liens sont extrêmement forts. En plus, le bhikkhu dépend des laïcs pour sa nécessité, pour sa nourriture, pour son vêtement, ses médicaments. Et la famille constitue les seules personnes auxquelles le bhikkhu a le droit de demander, s’il a besoin d’un vêtement ou de médicaments. Donc les liens n’ont jamais été rompus. Vous savez le bouddhisme se présente toujours comme la juste voie du milieu et au départ, à l’introduction des quatre nobles vérités, le Bouddha insiste pour souhaiter que ses disciples ne s’engagent ni dans la vie sociale ordinaire, ni dans la vie ascétique. Le bhikkhu n’est ni un ermite, ni un maître de maison, mais il s’accorde des temps de solitude et garde des liens familiaux et sociaux. C’est dans sa vocation, parce qu’il est aussi celui qui doit enseigner par l’exemple. Donc il doit être présent dans la société. Son vêtement est là pour le signaler. Le vêtement, sans doute institué par le Bouddha lui-même, est un vêtement qui le distingue des autres ascètes comme des brahmanes. C’est vraiment une communauté qui a des règles très précises, pour être remarquée en tant que telle. Mais du coup, cela oblige à une exemplarité remarquable aussi.

A.G. : On a parlé tout à l’heure des conditions pour intégrer la communauté des bhikkhus. Est-ce qu’il existe une cérémonie proprement dite ?

D.T. : Oui, une cérémonie existe qui est formalisée par les textes et qu’on appelle la sortie du foyer. Elle marque le moment où celui qui souhaite devenir bhikkhu abandonne la vie sociale, quitte le foyer pour devenir sans foyer. C’est le terme employé dans les textes et cela fait partie de cette volonté d’être sans préoccupations que de rompre avec les liens familiaux. Mais encore une fois, on reste dans la voie du milieu. Il s’agit de ne plus avoir charge de famille, mais on ne rompt pas les liens qu’on a avec ses parents ou les enfants ou l’ancien conjoint qu’on a pu avoir. Ce sont les personnes avec lesquelles le bhikkhu garde des liens privilégiés, puisqu’il a le droit de leur demander quelque chose s’il en a besoin. Il est celui qui ne demande rien, sauf peut-être à sa famille.

A.G. : Pour terminer cette émission, pouvez-vous nous parler du rôle du bhikkhu dans notre société actuelle, qui est quand même très individualiste ?

D.T. : Cela dépend si on est en Orient ou en Occident. Effectivement, dans la société occidentale, très individualiste, on n’a quasiment pas de bhikkhus et les occidentaux ne sont pas intéressés par la voie du bhikkhu. Alors qu’en Asie, le bhikkhu est toujours extrêmement présent. Il y a moins de vocations, si je puis dire, au niveau des bhikkhus temporaires, mais le bhikkhu reste de toutes façons, un pôle de référence dans la société. Ce qui s’est produit en Birmanie récemment est tout à fait traditionnel dans le rôle du bhikkhu. C’est une façon de tirer la sonnette d’alarme, vis-à-vis du roi, puisque le chef d’état, en l’occurrence la junte militaire, est bouddhiste, se réclame comme bouddhiste, se réclame protecteur du sangha des bouddhistes, donc le bhikkhu a devoir de signaler si son protecteur agit correctement ou incorrectement. C’est un rôle extrêmement important dans la société asiatique.

A.G. : Merci Dominique Trotignon.

Remerciements à Madame de Mareuil pour sa gracieuse et fidèle collaboration à la rédaction de la transcription de l’émission.


Livres présentés lors de cette émission :

Le Bouddha Dhammapada - Les stances de la loi

Jean-Pierre Osier

Editions : Flammarion Editions

ISBN : 20 08 070849 X

Le Dhammapada - littéralement, les « mots de la Loi » - appartient au canon du bouddhisme ancien. Dans ces stances attribuées au Bouddha lui-même, celui-ci définit les causes de la douleur de vivre et propose une thérapeutique destinée à éveiller l’homme, puis à le libérer d’une existence liée au malheur. Tout en présentant l’ essentiel de la doctrine, le Dhammapada échappe par son caractère poétique à la sécheresse de l’exposé didactique pour donner à voir l’expérience de l’Éveil et de l’Extinction.


Sermons du Bouddha - La traduction intégrale de 20 textes du canon bouddhique

Môhan Wijayaratna

Editions : Seuil Editions du

ISBN : 0 02 081572 9

Une traduction intégrale de 20 textes du canon bouddhique, recueillis au Ve siècle avant JC avant d’être transmis oralement, puis consignés par écrits quelques siècles plus tard. Un classique


Dans le Silence de l’insondable - Au-delà de tous les dogmes

Salim Michaël

Editions : Guy Trédaniel Editions

ISBN : 2 84445 677 4


Présentation : Aurélie Godefroy

Réalisateur : Michel Baulez

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