Extraits de l’émission :
Aurélie Godefroy : Cette émission est consacrée au Tibet, car, si l’on assiste aujourd’hui à une mobilisation croissante en faveur du peuple tibétain, et ce, au niveau mondial, il n’est pas toujours évident de comprendre les causes et les enjeux des événements dramatiques qui sont en train de se jouer depuis maintenant plus d’un mois au Tibet. Pourquoi en est-on arrivé à une telle situation ? Qu’est ce qui est en cause aujourd’hui ? Comment le Dalaï Lama peut-il agir ? Et surtout, comment peut-on, en tant que bouddhiste, manifester notre soutien au peuple tibétain ? Nous répondons à toutes ces questions avec notre invité, Jean-Paul Ribes.
Jean-Paul Ribes, bonjour. Vous êtes journaliste. Vous dirigez le comité de soutien du peuple tibétain. Vous êtes vous-même bouddhiste, depuis une trentaine d’années, je crois. Vous êtes disciple de Karmapa Rimpoche et de Kalou Rimpoché. Merci beaucoup d’être avec nous aujourd’hui. Nous allons commencer cette émission en regardant un bref rappel des faits :
« Pendant des siècles, le toit du monde est demeuré en marge, isolé de par son origine géographique, jusqu’en 1950. L’armée populaire de libération chinoise pénètre alors au Tibet. L’invasion et l’occupation par la Chine débutent et le démantèlement historique est annoncé, en un an, le territoire tibétain réduit de moitié. Pendant neuf ans, le Dalaï Lama cherche une réponse pacifique à la guerre. Mais l’invasion du Tibet par la Chine se poursuit de manière implacable. La résistance des tibétains, elle, s’amplifie et gagne tout le territoire, mais le Dalaï Lama condamne immédiatement l’usage de la violence, de part et d’autre. Dans la nuit du 17 mars 1959, il est contraint de fuir. Pendant trois semaines, déguisé en soldat, il traverse les cols de l’Himalaya. A son arrivée en Inde, il est accueilli par le pandit Nehru. Le chef du gouvernement indien lui offre l’asile politique, comme aux cent mille autres Tibétains qui ont fui, à sa suite, les persécutions. Depuis 1960, c’est à Daramsala, au pied de l’Himalaya, que le Dalaï Lama dirige le gouvernement tibétain en exil et qu’il continue à chercher sans relâche une solution pour la paix.
A.G. : Jean-Paul Ribes, est-ce que vous pouvez nous dire quelle est la situation aujourd’hui au Tibet ?
J.P. Ribes : Elle est exécrable. Le Tibet est quadrillé par l’armée chinoise et chaque jour nous apprenons, nous commençons à recevoir des nouvelles, des témoignages. Aujourd’hui, par exemple, j’ai appris que dans la ville de Kartsé, à l’extrême Est du Tibet, une quinzaine de jeunes gens qui commençaient à manifester, et qui avaient été rejoints par d’autres étudiants, avaient été encerclés par la police – c’était le 18 mars- et battus à mort. J’ai appris également qu’on avait vu arriver des prisonniers, par ce fameux train - qui a été bien mal employé cette fois – des prisonniers venant de Lhassa et qui sont arrivés à Sining, couverts de sang. Une vielle dame n’avait même pas de chaussures. Une chanteuse populaire a été arrêtée, il y a deux ou trois jours, elle a disparu. La répression est partout aujourd’hui au Tibet.
A.G. : Est-ce qu’il y a eu un événement déclencheur à cette répression ?
J.P. Ribes : L’événement déclencheur a été cette manifestation : le fait que des gens osent dire dans la rue, ou simplement être dans la rue, pour protester, a déclenché la répression. C’était en l’occurrence des moines qui venaient du principal monastère proche de Lhassa, Drépung et qui venaient pour demander la libération de leurs collègues, qui avaient, eux-mêmes, étaient arrêtés quelques mois plus tôt, parce qu’ils repeignaient en blanc le monastère, ce qui était une manière de manifester – qui a été considérée comme une manière de manifester leur dévotion au Dalaï Lama. Ils ont choisi le 10 mars, qui est le jour que tous les tibétains connaissent, qui est la commémoration du soulèvement de Lhassa en 1959, et ils sont allés pacifiquement s’asseoir devant le Jokang, le temple cathédrale de Lhassa. Le premier jour, on les a laissé pendant un moment, et puis, vers la fin de la journée, on a commencé à en arrêter quelques uns. Ils sont revenus le lendemain. On en a arrêté d’autres. Et le 14 mars, la colère du peuple a éclaté devant cette manière de traiter les moines et il est vraisemblable qu’il y a eu ce jour là des actes de violence, condamnables, mais, oh combien, explicables.
A.G. : Justement, que veulent les Tibétains ?
J.P. Ribes : Ce que veulent les Tibétains, on pourrait dire, c’est vivre, vivre tibétain, vivre dans la tradition qui est la leur, transmettre à leurs enfants une certaine vision du monde, transmettre à leurs enfants un pays qui ne soit pas dévasté, comme c’est le cas, un pays dont les ressources naturelles ne soient pas pillées systématiquement, un pays qui garde dans sa ligne de conduite un certain nombre de principes, où les jeunes gens ne soient pas conduits à l’alcoolisme, comme c’est le cas aujourd’hui, par une espèce de modernisation anarchique et autoritaire, qui est celle qu’impose la Chine au Tibet.
A.G. : On l’a vu en octobre dernier, avec les événements qui se sont passés en Birmanie, on peut se demander encore une fois, pourquoi ce sont les moines qui sont en première ligne ?
J.P. Ribes : Oui, effectivement, un certain nombre de gens se demandent si les moines ne feraient pas de la politique. Il faut revenir aux origines. Le Bouddha ne parlait pas de moine. Il parlait de « bikkhu » - Bikkhu qui veut dire mendiant : celui qui reçoit sans demander et qui donne sans qu’on lui réclame et le texte précise cette description du moine : « vêtu de rebus, nourri d’aumônes, toujours errant ». Voilà ce qu’est un moine bouddhiste. Un moine bouddhiste, c’est quelqu’un qui rompt les liens avec son père et sa mère, qui n’a pas d’enfants, mais qui multiplie par dix, par cent, les liens avec tous les êtres, qui est à la disposition de tous les êtres et qui est au cœur de la société, parce qu’il vit en dépendance de cette société, des aumônes qui lui sont faites. Donc, il est tout naturel que lorsque le peuple va mal, les moines soient au premier rang pour dire, mais aussi au premier rang pour recevoir les coups.
A.G. : Au centre de cette situation, il y a un autre moine qui est le Dalaï Lama. Qu’est ce qu’il peut faire ?
J.P. Ribes : L’équation du Dalaï Lama, c’est effectivement d’être moine bouddhiste - Il le dit : « Je suis Tenzin Gatzo, simple moine bouddhiste. » - donc de ne jamais accepter la violence. La violence qui ferait souffrir un être est inacceptable. C’est pour cela que les accusations portées contre lui sont parfaitement absurdes. Congénitalement, je dirais, il ne peut pas conduire vers la violence. Mais d’un autre côté, il est chef d’état, responsable de l’avenir d’un peuple qui, aujourd’hui, est menacé. Il a donc du trouver quelque chose qui permette à la fois de mener ce peuple vers la liberté, sans faire souffrir, ni le peuple, ni l’adversaire. C’est difficile.
A.G. : Quels peuvent être les moyens de résistance ?
J.P. Ribes : Ce qu’il propose est la voie médiane, c’est-à-dire une manière d’approcher l’adversaire, sans haine et sans violence, de négocier, de trouver un terrain sur lequel l’avantage sera réciproque. Et ce terrain peut exister : il l’appelle « l’autonomie authentique du Tibet ». Vous me demander comment résister ? Dans le mot résister, il y a deux choses :
il y a réserver quelque chose que l’on ne veut pas voir disparaître : une culture, un patrimoine et puis, il y a vivre. Donc la résistance est faite à la fois de ce qui permet de garder son être tibétain, quitte à le garder à l’intérieur de soi – ce qui est le cas des tibétains, depuis cinquante ans et puis de l’exprimer - si cela est possible et quand cela est possible - par ce que j’appellerais la résilience, c’est-à-dire tenter d’exister en tant que tibétain, dans une structure qui est assez hostile.
A.G. : Si jamais cette résistance ne marche pas, que va- t-il se passer ?
J.P. Ribes : Ce qui va se passer, c’est ce que Sa Sainteté Le Dalaï Lama appelle un génocide culturel. Quand il parle de génocide culturel, il veut dire ceci : C’est qu’un peuple peut mourir, du fait que l’on assassine, un par un, chacun de ses membres. Et puis, il y a une autre façon de s’en prendre à un peuple, qui est de le séparer de sa culture, de tuer sa culture. Et quand ce peuple vit en étroite symbiose avec une culture, comme c’est le cas des tibétains, finalement, tuer la culture tibétaine, c’est tuer le peuple tibétain.
A.G. : En préparant l’émission, vous m’avez cité une histoire du Bouddha. Pouvez-vous nous la raconter ?
J.P. Ribes : C’est une histoire des Jatakas, des scènes de vie du Bouddha. Une armée du Roi du Maghada marchait contre le peuple des Shakyas et des citoyens sont venus trouver le Bouddha pour lui dire de faire quelque chose pour eux, puisqu’il était le Bienheureux. Celui-ci répondit qu’il allait essayer. Il s’assit sous un arbre mort, devant sa ville de Shakya. Et quand le général de l’armée le vit, il lui demanda pourquoi il était là. Le Bouddha lui dit : « Parce que c’est mon pays ». L’autre fut tellement préoccupé par cette réponse qu’il reparti. Mais quelques semaines ou quelques mois plus tard, sans doute mal conseillé, il revint. Le Bouddha retourna s’asseoir sous l’arbre. Cette fois ci, l’armée ne s’arrêta pas, entra dans la ville et massacra tous ses habitants. Le Bouddha se leva alors et quitta l’endroit. Ses disciples lui demandèrent ce qu’il faisait. Et le Bouddha répondit : « Quand, dans ce monde, personne ne veut accepter la paix, je dois la garder en moi. »
A.G. : Merci beaucoup, J P Ribes, d’avoir été avec nous.
Livres présentés lors de cette émission :
Le Dalaï-Lama - Amour et compassion
Editions : Jacques Marie Laffont Editeur
ISBN : 2 84928 041 0
Un livre sur la vie de Sa sainteté le XIV DalaÏ-Lama, son message d’amour et de compassion, sur le bouddhisme et l’histoire du Tibet.
Les 14 Dalaï-Lamas

Editions : Favre Editions
ISBN : 2 8289 0840 2
Six cents ans de réincarnations, de déités protectrices, de rituels ésotériques, d’oracles, de mythes et d’histoire. Cinquante ans d’influence du quatorzième DalaÏ-lama, Tenzin Gyatso, dont la sagesse et la philosophie séduisent de plus en plus d’occidentaux. C’est la magie du bouddhisme tibétain incarné par ses dalaï-lamas et leur peuple. Seize auteurs renommés et plus de trois cent cinquante illustrations dont beaucoup inédites et éblouissantes dont une reproduction de 7 thangkas sur un poster de plus d’un mètre de long.
Les Tibétains, en lutte pour leur survie
Editions : Höebeke Editions
ISBN : 2 84230 085 8
Un essai photographique émouvant qui donne relief et profondeur aux réalités de la vie au Tibet. Un rappel nécessaire de l ‘ éco génocide en cours et des atteintes à la culture tibétaine menacée par la domination chinoise. C’est un ouvrage essentiel pour reconstituer le fil des évènements récents au Tibet.
Tibet - D’oubli et de mémoire

Tiziana et Gianni Baldizzone, Claude B. Levenson
Editions : Phébus Editions
ISBN : 2752902271
Terre de lumières et de contraste, vents fous des hautes plaines nimbées de beauté et de silence. Contrée si proche du ciel à en oublier les hommes et leur malheur. Tibet des révoltes étouffées, d’une infinie sagesse modelée au rythme des temps.
Autant de facettes de ce « toit du monde » sans pareil, restitués par les regards croisés de Tiziana et Gianni Baldizzone à travers des images somptueuses. Avec en éclairage le texte à la fois passionné et raisonné de Claude B. Levenson, fil ténu de l’oubli de l’éphémère à la mémoire des rencontres.
Tibet - Le pays sacrifié

Editions : Calmann-Levy Editions
ISBN : 2 7021 3132 8
Le 7 octobre 1950, l’Armée populaire de libération franchit le Yangtsé et anéantit les défenses tibétaines. À Lhassa, le gouvernement minimise l’invasion dans l’espoir de négocier avec la Chine de Mao, puis fait appel à l’ONU. Soutenu par un seul pays - le Salvador -, sa demande d’inscrire la « question tibétaine » aux débats du Conseil de sécurité est ajournée…
Voici l’ouvrage de référence sur le destin politique du Tibet qui manquait au public francophone. L’auteur ne se contente pas de retracer les grandes étapes de l’histoire du Toit du monde et de montrer comment, depuis le Ve siècle jusqu’à l’occupation par la Chine communiste, le Tibet a toujours su préserver un équilibre entre ses puissants voisins. Il lève le voile sur les véritables raisons de la chute du Tibet. Les chapitres sur le rôle du Premier ministre indien, Nehru, et sur les atermoiements des pays occidentaux sont particulièrement éclairants.
Grâce à ses recherches dans des archives indiennes, russes et américaines récemment ouvertes aux chercheurs, à ses nombreuses relations dans le monde diplomatique et militaire indien. Grâce aussi à ses contacts tibétains - en particulier une longue amitié avec le Dalaï-lama -, Claude Arpi nous livre la face cachée d’un drame toujours tragiquement d’actualité. « Une étude historique majeure et fascinante des influences humaines et politiques qui ont permis l’invasion du Tibet par la Chine communiste. » (Matthieu Ricard ) « Claude Arpi a passé de nombreuses années en Inde et a acquis une ample compréhension du dossier tibétain. Alors qu’il exprime, ici, son admiration pour l’adaptabilité et le bon naturel des Tibétains qui l’ont inspiré dans son travail, je voudrais dire la mienne pour son attitude réaliste et pratique. Cette approche se reflète dans son livre » (Sa Sainteté le Dalaï-Lama).
Tibet - La question qui dérange

Editions : Editions Albin Michel
ISBN : 2226180753
Que ce soit sur la scène économique et financière, dans les sphères diplomatiques ou médiatiques, il est de bon ton aujourd’hui de courtiser la puissance chinoise. Mais une tragédie inoubliable demeure comme une tache indélébile dans ce tableau d’une réussite annoncée : le Tibet, sa population martyrisée, sa civilisation en péril. Claude B. Levenson , spécialiste de l’histoire et de la culture tibétaine, familière du Dalaï-Lama, brosse dans ce livre une synthèse magistrale de cette question qui dérange… car le monde semble embarrassé par ce peuple singulier soumis au cauchemar et par son chef spirituel irréductible et non violent. Un récit passionnant.