Émission diffusée le 19 octobre 2008

Extraits de l’émission :

Aurélie Godefroy : La plupart des religions parlent de l’au-delà. Qu’en est-il dans le bouddhisme zen ?

Roland Rech : Dans le bouddhisme zen aussi, il y a cette vision de l’au-delà. Notre vie présente est inclue dans un cycle de vies et de morts, donc l’au-delà est très présent dans la pratique du zen. D’ailleurs Maître Dôgen, dont on va parler tout à l’heure, disait que ceux qui ne croient pas au fait que notre vie s’inclue dans ce cycle et se déroule dans trois périodes : la vie présente, la vie future et les vies à venir, ne sont pas prêts à entrer dans la voie du zen.

A.G. : On dit que la vie et mort est nirvâna. Comment est ce qu’une chose peut être son contraire ?

Roland Rech : On peut dire cela d’une manière absolue et ultime si on considère que la vie et mort est faite profondément d’impermanence, donc d’apparitions et disparitions et que, puisque tout ce qui existe apparaît et disparaît, cela veut dire que tout ce qui existe est sans substance, donc si c’est sans substance, cela veut dire que c’est déjà libéré de toutes les causes de souffrance. Mais encore faut-il le réaliser.

Je crois qu’il y a un point de vue objectif. On peut dire que vie et mort et nirvâna sont identiques du point de vue de la vérité ultime, de la vacuité. Ces deux états d’être, vie et mort ou nirvâna sont ultimement vacuité. Maintenant pour que notre vie et mort à nous, notre manière d’être dans la vie et dans la mort deviennent nirvâna, cela suppose un travail, une pratique, un cheminement qui est la voie du zen.

A.G. : Comment maître Dôgen s’est-il exprimé sur ce sujet, notamment dans un de ses textes ?

Roland Rech : Principalement il enseigne que la vie ne devient pas la mort. Tout cela est lié à une notion de temps. Pour Dôgen, le temps n’est pas une dimension séparée de l’existence et l’existence est faite d’apparitions et de disparitions successives et donc le temps est fait d’une succession d’instants et chaque instant a sa valeur absolue. Il ne devient pas l’instant suivant.

A.G. : Ce ne sont que des états finalement ?

Roland Rech : Ce sont des états. Il dit : « L’hiver ne devient pas le printemps. L’hiver est l’hiver et le printemps est le printemps. » De la même manière, une bûche dans un feu ne devient pas cendres. Il y a d’abord l’état de bûche et ensuite l’état de cendres.

Il en est de même pour notre vie. C’est très important parce que, si on voit l’impermanence comme quelque chose de continu, il n’y a pas moyen de se transformer et de se libérer. Cela veut dire que l’enchaînement est déterministe. Tandis que si l’impermanence est faite d’instants séparés, il y a la possibilité entre un instant et l’autre instant d’introduire un changement.

A.G. : Il dit également :

« Pratiquez la méditation comme si vous entriez dans votre cercueil. » Qu’est ce que cela signifie ?

Roland Rech : C’est Maître Deshimaru qui nous rappelait cela. Cela veut dire qu’au moment d’entrer dans son cercueil, d’abord il n’y a plus un instant à perdre pour se préoccuper de toutes sortes de choses qui nous font perdre notre temps dans la vie quotidienne. Donc, à ce moment là, il faut véritablement se concentrer sur : « Qu’est ce qu’il est essentiel de vivre et de comprendre en ces quelques instants qui me restent à vivre ? » et du coup, c’est l’occasion d’un regard beaucoup plus intense sur notre vie et donc de réaliser l’éveil.

C’est pour cela que souvent des êtres qui ont fait des expériences proches de la mort, qu’on appelle les fameuses NDE, font des expériences de quasi éveil, spontanément, du fait qu’ils sont confrontés avec la mort imminente. Il serait vraiment dommage d’attendre de devoir mourir pour s’éveiller et donc pouvoir ensuite mener une vie à partir de cet éveil.

C’est ce qu’enseigne le zen. Et pour cela, il faut vraiment pratiquer avec une très grande intensité la méditation et pas seulement la méditation, mais toutes les choses de notre vie, comme si nous étions en train de vivre, pas nos derniers instants, mais disons, notre dernier jour et que, par conséquent, tout devient important à ce moment là. Tout est vécu profondément. Et finalement, à partir de cette perspective de la mort, c’est la vie elle-même qui s’en trouve rénovée.

A.G. : Une des pratiques, vous le disiez, c’est la méditation, donc zazen dans le zen. Qu’est ce qui se passe quand on fait zazen, qui puisse nous aider à mieux essayer d’envisager la vie ici et maintenant ?

Roland Rech : D’abord dans la pratique du zazen, on est très concentré sur le corps et sur la respiration et le fait d’être ainsi concentré aide à apaiser le mental et surtout à ne pas suivre nos pensées, à être vraiment très présent ici et maintenant.

Je crois que par rapport à la vie et à la mort, la chose fondamentale, c’est d’expérimenter en fait l’éternité de cet instant-ci, que cet instant-ci ne va pas devenir d’abord. Il doit être vécu pleinement comme un instant absolu.

A.G. : Pourquoi dit-on aussi, quand on fait zazen, qu’on transmigre ?

Roland Rech : Ce qui se passe en zazen, c’est que, même si on est concentré sur le corps et la respiration, il arrive que l’on ait des pensées qui viennent ou des émotions et que, suivant les pensées et les émotions que nous avons, notre état de conscience se modifie et on peut vivre des états de conscience qui correspondent aux différents états de transmigration dont on parlait la semaine dernière : on peut être, par moments, dans des douleurs assez fortes, et on peut à d’autres moments être submergé par certains désirs ou des craintes. On peut à d’autres moments être dans la béatitude. Bref, le zazen n’est pas quelque chose de constant.

On rencontre l’impermanence dans le zazen, mais en même temps, on apprend à ne pas s’identifier à ces états, on les traverse. C’est cela qui est extrêmement précieux dans la pratique de zazen, parce qu’on revient constamment au corps et à la respiration et on retrouve à chaque fois un esprit neuf, frais qui n’est plus conditionné par nos émotions et par nos pensées. Et donc c’est un moment de nirvâna justement, un moment de libération.

A.G. : Est-ce que vous pouvez nous commenter cette phrase : « Aller et venir, naissance et mort sont le véritable corps de l’homme. » Qu’est ce que cela veut dire ?

Roland Rech : Oui, c’est une phrase de maître Dôgen. Cela veut dire que c’est dans cette vie et mort que l’être humain peut désirer pratiquer la voie, s’engager dans sa pratique et réaliser son véritable corps qui est le corps de Bouddha, qui n’est pas seulement un corps impermanent, mais qui est aussi le corps dans lequel l’ultime vérité s’incarne.

Mais Dôgen nous dit que cela implique de s’engager concrètement dans la pratique de la voie. Cela veut dire, autant que possible, pratiquer la méditation, recevoir l’ordination au moins de bodhisattva, recevoir les préceptes, faire le vœu de les pratiquer et s’engager dans une pratique quotidienne de la voie dans ce monde, qui est finalement le seul lieu dans lequel on peut réaliser l’éveil. C’est cela que signifie « la vie et la mort sont le véritable corps de l’homme ». Encore une fois, cela peut paraître étrange, si on le prend tel quel. Mais il faut comprendre que cela se réalise s’il y a pratique, s’il y a un engagement dans la voie du zen, dans la voie du Bouddha.

A.G. : Beaucoup de grands maîtres zen nous enseignent également à lâcher prise . Comment y arrive-t-on concrètement ?

Roland Rech : Il y a deux manières pour lâcher prise :

Ce sur quoi j’ai insisté jusqu’à maintenant c’est-à-dire la concentration. La concentration aide à lâcher prise, si on est très profondément concentré sur son corps, qu’on arrive à laisser passer les pensées, les émotions plus rapidement et si on est concentré sur la respiration.

Mais surtout, ce qui aide beaucoup au lâcher prise, c’est la sagesse, c’est-à-dire l’observation profonde, intime du fait que ce à quoi on est attaché n’a pas de substance, de toutes façons est impermanent, on ne pourra pas le garder et que nous-mêmes, notre propre ego est complètement impermanent et donc ne peut pas s’attacher à quoi que ce soit.

Autrement dit le détachement n’est pas quelque chose qu’on obtient par l’effort, mais par la réalisation que même si on le veut, on ne peut s’attacher à rien, parce que justement la vie est constamment apparition et disparition. Et la transformation avec le zen nous invite à retrouver un esprit constamment fluide, qui épouse ce devenir, cette transformation sans stagner nulle part, sans demeurer nulle part.

L’esprit zen est l’esprit qui ne stagne sur rien.

A.G. : Et cela permet aussi d’avoir une certaine unité, notamment de ne pas séparer samsara et nirvâna. C’est quelque chose qui est très important aussi ?

Roland Rech : Oui, samsara et nirvâna ne sont pas identiques, mais ne sont pas différents, ne sont pas séparés. Pourquoi ?

Parce qu’il y a une tendance chez certains pratiquants du bouddhisme à haïr le samsara comme étant le lieu de la souffrance, de la transmigration et à aspirer tellement au nirvâna que cela devient un objet d’avidité, cela devient à nouveau désir. Alors que le désir est la cause fondamentale de la transmigration. Désirer le nirvâna fait que l’on se dirige à l’opposé du nirvâna.

Dôgen y insiste beaucoup quand il parle de la vie et de la mort. Il dit que si vraiment vous haïssez la vie et mort et que vous aspirez au nirvâna en opposant nirvâna et samsara, c’est comme si vous vouliez voir l’étoile polaire en vous tournant vers le Sud. Vous faites fausse route.

Par contre si vous voyez quelle est la véritable nature de ce samsara dans lequel vous êtes, vous réalisez qu’il est sans substance, qu’il est impermanent et le lâcher prise se produit immédiatement. Et ce lâcher prise est nirvâna.

A.G. : Pourquoi dit-on aussi que le bodhisattva ne tombe pas dans le samsara mais qu’il décide de plonger ?

Roland Rech : Parce que justement ce bodhisattva a trouvé la manière de réaliser le nirvâna dans le samsara, mais il se rend compte que la plupart des êtres souffrent profondément dans ce samsara et alors qu’il pourrait gagner un nirvâna définitif, il est animé par la compassion, la compassion qui est elle-même stimulée par la pratique du zazen qui nous fait nous sentir pas différents ni séparé des autres. Donc qui fait qu’on laisse tomber en nous ce qui fait barrière et séparation d’avec les autres. Et cet esprit de compassion fait que, pour le bodhisattva, le sens de sa vie c’est de renaître éternellement d ans le monde et de pratiquer la voie avec les autres pour les aider à s’éveiller. Et comme il pratique comme cela même dans le samsara, sa vie est au fond un nirvâna.

A.G. : Pour terminer cette émission, pourriez vous nous citer quelques poèmes écrits par de grands maîtres zen ?

Roland Rech : Ce sont des poèmes qui sont écrits juste avant la mort et qui sont généralement pour léguer son dernier enseignement à la demande des disciples qui attendent justement l’enseignement ultime du maître.

Maître Keizan dit : « Comme je suis né, je dois mourir. »

Cela veut dire qu’il considérait le fait de mourir comme une chose naturelle. Le fait de naître implique de mourir et ce n’est pas seulement au moment de la mort réelle, mais jour après jour, instant après instant, notre vie est une succession de vies et de morts.

Et cela, c’est vraiment la pratique du zen qui nous apprend, nous rend familier avec le fait que naître veut dire entrer dans ce processus de naissance et de mort, instant après instant.

Donc cela devient tellement familier qu’au moment de mourir, eh bien puisque je suis né, je dois mourir. On ne va pas en faire une histoire !

Un autre poème est celui de maître Ryôkan qui, lui, évoque beaucoup plus l’acceptation de l’ordre cosmique tel qu’il est.

L’ultime enseignement, c’est qu’au printemps, les fleurs éclosent. L’été, les rossignols chantent. Et à l’automne, les fleurs et les feuilles se fanent et tombent.

A.G. : Pour finir, on peut dire que sur les temples zen, on trouve un petit écriteau où il est inscrit quelque chose qui fait référence à la vie et à la mort ?

Roland Rech : C’est écrit sur le bois que l’on frappe pour inviter les gens à venir rapidement pratiquer la méditation. C’est : « La vie et la mort est la grande affaire. »

Sous entendu : « Ne perdez pas votre temps, ne gâchez pas l’instant présent. »

A.G. : Merci, Roland Rech, d’avoir été avec nous.


Livres présentés lors de cette émission :

L’Esprit du zen

Alan Watts

Editions : Seuil Editions du

ISBN : 2 02 025881 1

En 1935, à l’âge de vingt ans, Alan Watts publie cet essai éblouissant sur « L’Esprit du zen ». L’ensemble de l’économie du texte s’appuie sur l’expérience de l’éveil dans le zen (Satori) - et y mène.

L’auteur scrute d’abord l’origine du zen, qui procède du dialogue fondateur de Bodhidharma avec l’empereur de Chine, et débouche sur le poème d’éveil du VIe siècle du patriarche Hui-Neng. Il opère une audacieuse interaction dialectique entre le Tao (la Voie, en chinois) et le Tathata (le Réel, en sanscrit). Il développe ensuite sa compréhension personnelle du secret du zen : « Une transmission spéciale en dehors des Écritures, ne dépendant ni des mots ni des lettres, destinée directement à l’esprit de l’homme, pour voir en sa propre nature. » II détaille la technique du zen, intrinsèquement liée à la vie en communauté.

Son essai s’achève sur un examen de la relation entre le zen et la civilisation d’Extrême-Orient, comme art de vivre, de vaincre et de lâcher prise. Le zen est une fusion de l’être humain avec l’univers. La vie est la Voie, la Voie devient vie.


Récits de Sagesse d’Extrême-Orient

Daniel Giraud

Editions : Accarias-L’Originel Editions

ISBN : 978 2 86316 137 1

Ces récits de l’Extrême-Orient relatent d’éveil des sages à travers les traditions du Tao, du Tch’an et du Zen. A la lecture de ces courts récits, souvent jubilatoires, chacun pourra déconcerté, frappé d’étonnement, prendre soudainement et clairement conscience.


Paroles Zen

Marc de Smedt

Editions : Editions Albin Michel

ISBN : 978 2 226 06 438 9


Présentation : Aurélie Godefroy

Réalisateur : Claude Darmon

Remerciements à Madame de Mareuil pour sa gracieuse et fidèle collaboration à la rédaction de la transcription de l’émission.