Émission diffusée le 23 septembre 2007

Extraits de l’émission :

Aurélie Godefroy : Nous allons nous interroger aujourd’hui sur le changement que peut susciter chez nous le concept d’impermanence. En quoi consiste-t-il ? Comment doit-il s’opérer ? Quel travail sur soi-même cela demande-t-il ? Et enfin, pourquoi et comment le fait d’accepter l’impermanence des choses peut-il nous conduire au bonheur ou au moins nous permettre de mettre de côté notre souffrance ?

Nous retrouvons pour en parler le Dr. Christophe André et Lama Lhundroup. Pour commencer cette émission, je souhaiterais savoir en quoi le fait de réaliser cette impermanence nous permet de changer, de mieux évoluer ?

Dr Christophe André : Souvent le travail qu’on peut faire sur l’impermanence concerne les émotions, que ce soit pour les émotions négatives, dans lesquelles la conviction qu’elles sont permanentes ou qu’elles risquent de l’être, la conviction que ma souffrance, mon malheur, ma peur, vont toujours durer, c’est quelque chose qui, justement, augmente la durée. On provoque ce concret, on a peur que ça dure et on facilite la durée, donc travailler sur la compréhension et l’expérimentation. Car ce n’est pas seulement avoir conscience, c’est travailler régulièrement, en faisant de nombreux exercices. Cela permet d’être moins prisonnier, moins victime des émotions négatives, mais aussi des émotions positives, c’est-à-dire comprendre que toutes formes de bien-être, de plaisir, de bonheur, ne peuvent être permanentes et ne pas s’en affoler, ne pas s’en inquiéter, cela fait partie du travail psychologique sur ce rapport permanence impermanence.

A.G. : Lama Lhundroup, qu’en pensez-vous ?

Lama Lhundroup : Ce travail dont vous parlez amène plus de légèreté. Etre conscient du changement fait que nous lâchons plus rapidement ce qui vient de se passer et nous sommes plus prêts à accueillir ce qui vient. C’est une légèreté du cœur, de l’esprit qui s’installe, qui rend l’esprit disponible à ce qui vient, ce qui va être, sans être tellement préoccupé avec ce qui était déjà et ce qui va être dans un futur lointain. Et cette légèreté là est peut-être le plus grand changement, grâce à cette pratique avec l’impermanence.

A.G. : Est-ce que le fait d’envisager l’impermanence et la mort permet de développer un sentiment d’urgence, qui génère une envie de changement, tout simplement ?

Lama Lhundroup : Tout à fait.C’est d’ailleurs pour ce sentiment d’urgence que d’abord on enseigne sur l’impermanence dans le bouddhisme, parce qu’on souhaite que chacun prenne conscience de sa mortalité, que nous ne pouvons pas savoir quand on meurt, et qu’il faut vivre maintenant ce qu’on a envie de mettre en place. Vivre aujourd’hui, car il n’est pas certain que j’aurai tout le temps ou des années pour faire les choses importantes, si je ne les fais pas aujourd’hui. Et ce sentiment d’urgence accompagne un pratiquant bouddhiste tout au long de sa vie. C’est un rappel plusieurs fois par jour, sinon plus souvent.

A.G. : Dr Christophe André, j’ai lu dans vos différents livres, que vous décriviez le changement selon plusieurs étapes. Est-ce que vous pouvez nous résumer en quoi elles consistent ? Est ce qu’on peut parler de stratégie du changement ?

Dr Christophe André : Oui, on peut parler de stratégie. D’abord, les trois grandes étapes, c’est sans doute celle de la prise de conscience : comprendre avec son esprit, son cerveau, comprendre intellectuellement. Il faut bien commencer par là. Et puis après, il va falloir pratiquer, initier le changement concrètement. Là, c’est souvent un travail d’observation effectivement, comme vous le disiez, de tout ce qu’il y a autour de nous : observer que tous les phénomènes naturels sont soumis à l’impermanence, que nous-mêmes, nos émotions, notre corps, y sommes soumis, que les gens autour de nous changent, ne sont pas aujourd’hui ce qu’ils étaient hier. Il y a tout ce travail de mise en œuvre de commencer la pratique et après, il y a surtout un travail de maintenance. Vous savez, c’est comme si vous appreniez une langue étrangère ou à jouer d’un instrument ou si vous voulez faire du sport, il faut vous dire : j’en ai besoin, il faut commencer à le faire et puis il faut tenir la distance. Et le travail sur l’impermanence ensuite, c’est le travail de toute une vie finalement, on n’a jamais terminé.

A.G. : Vous venez de parler du travail à faire sur soi, qui est la base de toute chose. Comment nos imperfections peuvent-elles nous aider ? Est-ce qu’elles peuvent devenir une force en fait ?

Dr Christophe André : Si on les accepte, oui. S’accepter imparfait, incomplet, ne sachant pas certaines choses, cela déclenche de la peur chez nous : on a peur d’être mal jugé par les autres, on a peur d’être rejeté. Alors cette peur peut nous pousser à nous recroqueviller, à ne prendre aucun risque, pour qu’on ne voit pas nos imperfections. Comme quelqu’un qui ne se plairait pas physiquement et qui n’oserait jamais aller se baigner pour qu’on ne voit pas son corps en maillot de bain. Ou au contraire cette peur peut nous pousser à une réaction d’orgueil, c’est-à-dire à vouloir absolument ne plus être imparfait, par exemple, en apprenant par cœur des tonnes de livres, ou en faisant beaucoup de musculation, de la chirurgie esthétique, pour nier les changements de son corps. Donc, l’acceptation du fait que nous sommes imparfaits, l’acceptation tranquille, bienveillante envers nous-mêmes, sans que ce soit un renoncement à l’action. Car évidemment, prendre de la distance, s’accepter, cela ne veut pas dire subir, ne rien faire pour changer. Je peux changer tranquillement, si cela me parait important. Mais le faire sereinement, amicalement, sans inquiétude, sans colère. Cela, c’est quelque chose de fondamental pour notre équilibre personnel.

A.G. : Lama Lhundroup, comment faire face à ces attentes, quand on est sur la voie du changement ? Car ce n’est pas facile à faire ?

Lama Lhundroup : Les attentes, vis-à-vis de l’impermanence, ne peuvent pas tenir debout, parce que la vie prouve que les choses viennent autrement que dans la pensée. Et même l’attente de s’éveiller un jour, ce sera une illusion, parce qu’il n’y a pas un éveil stable. Même l’Eveil, ce n’est pas quelque chose, un truc qu’on pourrait réaliser. C’est cette ouverture totale de l’esprit dans le changement. Donc, les attentes, il faut en finir avec, et ce sera grâce à l’impermanence.

A.G. : Avez-vous des petits conseils à donner, justement, pour faire face à ces attentes ? Je crois notamment que vous avez un ami qui vous accompagne ?

Lama Lhundroup : Je vous ai parlé de mon ami, le petit squelette sur l’épaule ….

A.G. : Expliquez-nous en quoi il nous aide à faire passer ces attentes ?

Lama Lhundroup : Ce sont des conseils de nos maîtres, qui disent : pensez souvent à la mort, ce sera le meilleur conseiller. Donc, on peut s’imaginer un petit squelette sur l’épaule. Vis-à-vis de la mort, si elle peut arriver bientôt, et je ne sais pas quand, quelle sera la meilleure chose à faire maintenant ? Et, pour chaque décision importante à prendre, se tourner vers ce conseiller et en prendre conscience. Ce sera déjà un début de la pratique avec l’impermanence.

A.G. : Christophe André, est ce qu’on peut dire que, lorsque nous changeons, le monde entier change avec nous ?

Dr Christophe André : Le monde entier change, parce que notre regard sur lui change. Le monde est très dépendant de la manière dont on le regarde. Il y a quand même toute cette réalité intérieure. Mais ce qui est très important dans ce que vous venez de dire, c’est qu’en acceptant cette notion d’impermanence, j’augmente ma capacité de présence au monde. Accepter les personnes telles qu’elles sont, et donc pouvoir leur pardonner, malgré ce qu’elles ont fait, pouvoir leur permettre de faire des choses, parce que je n’ai pas mis d’étiquettes sur elles. Je n’ai pas mis d’étiquettes sur un enfant en disant qu’il ne sera jamais capable de faire d’études. Donc, je lui permets au fond de changer. Alors que, lorsqu’on a étiqueté le monde comme étant mauvais et décevant, ou les gens, comme étant imparfaits et limités, eh bien, d’une certaine façon, je contamine un peu la vision qu’ils ont d’eux-mêmes.

A.G. : On vient de le voir, le fait de changer résulte de plusieurs actions. En quoi est qu’il est important d’accorder autant d’importance, si ce n’est plus, à l’action elle-même, qu’à ce qu’on récolte, finalement ?

Lama Lhundroup : Quand on pratique cette vigilance dans le mouvement, on se réjouit de faire bouger sa main. Il y a une joie de parler, il y a une joie de se promener dans l’espace, il y a une joie de vivre la pluie, le soleil. Cela, c’est, je dirais, la beauté dans l’action, être bien présent à ce qui est maintenant et rien d’autre. C’est une profonde source de joie et de plénitude, on pourrait dire.

A.G. : On cherche à évoluer ou à changer pour atteindre un certain bonheur ou une certaine idée que l’on se fait du bonheur. Est-ce qu’on pourrait revenir sur ce mot et peut-être tenter de le définir, Christophe André ?

Dr Christophe André : Pour moi le bonheur, en tant que psychiatre, c’est un état de conscience, c’est la prise de conscience des moments de bien-être. Le bien-être est une caractéristique qui est partagée par tout ce qui est vivant : un animal est content, ressent du bien-être, parce qu’il a le ventre plein, parce qu’il est au soleil, parce qu’il n’est pas menacé par d’autres animaux, mais on ne sait pas s’il est vraiment heureux. Et pour nous, c’est pareil : il y a des moments où on ressent du bien-être. On a la satisfaction d’avoir le ventre plein, ou d’être avec des amis, ou d’être dans un bel endroit. Pour que ce soit du bonheur, selon nous, il faut cette petite opération mentale de conscience de l’instant, se dire : « Ce que je suis en train de vivre est un instant de bonheur et je prends conscience intuitivement qu’il va disparaître. » Certaines personnes ont du mal avec ça. Elles ne veulent pas se réjouir. Vous savez, ce sont ces gens qui disent : « Ah oui, il fait beau, mais il va pleuvoir » ou : « Ah oui, c’est le WE, mais il faut repartir au travail. » Ils sont en permanence dans l’anticipation de la disparition. Ils ont, eux, un petit problème avec la notion d’impermanence, car, au lieu de s’en faire une alliée, au lieu de se dire que c’est justement parce que ce bonheur va disparaître qu’il faut le savourer, ils s’en font une peur terrible : puisqu’il va disparaître, alors c’est fichu, ça ne vaut pas la peine, cette vie n’a aucun goût etc.. Donc, vous voyez, ces notions de permanence et d’impermanence, nécessitent aussi un bon usage et un bon rapport de la manière dont on les approche.

A.G. : Et dans certains cas d’ailleurs, il faut se méfier. On peut aussi parler de bonheur toxique, quand on est trop dans l’obsession du bonheur ?

Dr Christophe André : Oui, de la même façon. Vous savez, il y a des personnes qui ont une vision idéalisée du bonheur, qui voudraient que le bonheur soit parfait, comme par exemple des gens qui attendent le grand amour. Et du coup, ils vont passer à côté de tas d’occasions. Ils ne se rendent pas compte que le bonheur est fait de tout un tas de petits moments, de petits instants. Et puis, aussi, évidemment, le bonheur parfait, on attend aussi que ce soit un bonheur permanent. Et donc on est allergique aux oscillations de bonheur, aux périodes de disparition du bonheur, même transitoires. On ne peut être heureux, en tant qu’être humain, qu’une fois qu’on a admis qu’on était des « intermittents du bonheur ». Le bonheur, c’est un cycle comme le cycle du jour : il apparaît, il disparaît, il revient. On peut faciliter sa venue, mais on ne peut pas le convoquer.

A.G. : Est-ce que vous souhaiteriez rajouter quelque chose, pour conclure cette émission, justement sur l’impermanence et le bonheur, Lama Lhundroup ?

Lama Lhundroup : Le Bouddha a défini le bonheur, surtout comme l’absence de ce qui crée la souffrance. Pour nous, les pratiquants bouddhistes, le bonheur, la joie, c’est l’état naturel de notre esprit qui se manifeste, dès qu’il n’y a pas un esprit, c’est un cœur étroit. Quand tous les empêchements sont enlevés, la joie et le bonheur sont naturels, ils n’ont pas besoin de cause pour se manifester.

A.G. : Je vous remercie tous les deux d’avoir été présents tout au long de ces deux émissions.

Remerciements à Madame de Mareuil pour sa gracieuse et fidèle collaboration à la rédaction de la transcription de l’émission.


Livres présentés lors de cette émission :

Imparfaits, libres et heureux

Christophe André

Editions : Odile Jacob Editions

ISBN : 9802 7381 2229 2

Édition : Pratiques de l’estime de soi

Ce livre vous aide à avancer sur le chemin de l’estime de soi. A la construire, la réparer, la protéger pour mieux évoluer dans la vie.


Plaidoyer pour le bonheur

Matthieu Ricard

Editions : Nil Editions

ISBN : 2-84111-244-6

Ce livre est un véritable traité du bonheur mais aussi un guide précieux et convaincant pour nos individualismes en mal de repères. Matthieu Ricard est l’un des spécialistes mondiaux du bouddhisme. Il vit depuis plus de trente ans auprès d grands maîtres spirituels en Himalaya. Interprète français du Dalaï-Lama, photographe, traducteur et éditeur de textes sacrés, il réside dans son monastère de Shechen au Népal.


L’Art du bonheur

Sa Sainteté le 14e Dalaï-Lama Tenzin Gyatso

Editions : Laffont Robert

ISBN : 2-221-08937-5

Demandez au Dalaï-Lama s’il est heureux, et bien il répondra oui sans hésiter bien qu’il ait souffert de l’exil. le bonheur selon lui est le but de l’existence. Ce qu’il explique dans cet ouvrage avec le psychiatre Howard Cutter est un mélange surprenant de sagesse plusieurs fois millénaire et de bon sens, de réflexions et de conseils concrets que nous pouvons tous appliquer.


Présentation : Aurélie Godefroy

Réalisateur : Michel Baulez

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